Le monde semblait s'écrouler sous les pieds de Lexie, et elle se sentait juste vide, incapable de réagir. Elle avait lu cent fois le message de Riley, le dernier lien qu'elle aurait avec lui. Elle n'était pas prête pour ça, pas prête à ce qu'il disparaisse ainsi de sa vie. Elle avait cru si fort que tout serait possible pour eux, et elle était tombée de haut quand celui qu'elle aimait avait fini par devoir fuir.

Elle n'était pas sûre qu'il y ait de bonnes façons de finir une relation, mais ce départ soudain de Riley lui fendait le cœur, et elle se sentait juste détruite, à regarder le monde tourner sans pouvoir en rejoindre la course. Son cerveau lui disait que c'était bête de réagir ainsi, qu'ils n'avaient pas été ensemble depuis si longtemps que ça, que leur relation était destinée à échouer vu comme ils étaient différents.

Pour son cœur, c'était autre chose. Elle l'avait senti se briser dans sa poitrine en lisant le message envoyé par Riley, et elle se sentait pour le moment incapable d'en ramasser les morceaux. Elle se retrouvait à sangloter dans sa chambre, adossée à sa porte, les mains tremblantes, les joues humides de larmes qui n'arrêtaient pas de couler.

Il lui fallut de nombreuses minutes pour rassembler quelques pensées et attraper son téléphone. Un seul numéro lui vint, et elle mit un moment à aller jusqu'au profil de Swan pour passer un appel. Elle avait besoin de parler à quelqu'un, et avec Charlie presque disparu - ou ne répondant pas à ses appels -, il ne lui restait pas beaucoup de très proches capables de lui venir en aide.

« Hey Swan » le salua-t-elle quand il décrocha. « Désolée de te déranger mais... J'ai besoin de toi. »

Sa voix se brisait, et elle se retrouvait incapable de parler, mais il lui fallait aller au moins au bout de ces quelques mots. Histoire que son ami soit capable de venir la retrouver. Parce que là, Lexie avait bien conscience qu'il allait juste tourner en rond en s'inquiétant pour elle.

« Je suis à la maison et j'aurai vraiment besoin de te parler » murmura-t-elle avant de laisser échapper son téléphone.

Ce n'est qu'à ce moment-là qu'elle réalisa que peut-être Swan n'était pas en ville. Elle savait qu'il vivait en colocation avec Victoria en Virginie, une information qu'elle avait totalement oublié dans le trou noir provoqué par la rupture par sms de Riley. Elle n'avait plus qu'à espérer qu'il soit à la fac ou chez un ami, parce que sinon, elle avait encore des heures à spiraler seule, l'esprit englouti par la tristesse...

Swan appuya sur une dernière touche du clavier, et mit ainsi un point final aux conclusions alignées sur sa tablette; aujourd'hui ils étaient tous d'accord sur la façon de clôturer le dossier. Ils restèrent malgré tout assis pour décompresser des longues heures que leur avait valu ce cas complexe à analyser et ils s'étirèrent les membres tout en amenant un sujet un peu moins palpitant : le quotidien. Si Swan n'était encore qu'un stagiaire parmi les élus du Ministère de la Justice, il ne manquait plus grand temps à ce qu'il puisse être compté parmi eux. Tout du moins, il espérait terminer son doctorat avec brio pour obtenir une place de haut-rang. Il était motivé, et la plupart des personnes qui entouraient la table ronde le poussait à réussir. Il fallait dire qu'ils avaient déjà rencontré/connu les parents de l'Asiatique, et ils savaient à quel point cela pouvait être important pour lui.

Il sourit à une remarque de son maître de stage avant de sentir son téléphone vibrer dans la poche arrière de son chino. Discrètement, il sortit son mobile et vérifia l'identité de l'émetteur sous le bois du meuble; Alexandra. Il fronça les sourcils, presque certain de l'avoir prévenue qu'il travaillait au sein du gouvernement cette semaine-ci, et qu'il était presque impossible pour lui de se défaire de l'emploi du temps qui lui avait été rendu chargé. Il s'excusa alors auprès de ses futurs compères, se leva de sa chaise et sortit de la pièce de réunion avant de décrocher. Allô, fut-il interrogatif. La voix de sa meilleure amie lui apparut troublée, et il releva la tête complètement attentif : Lexie ? Le silence dura une éternité à l'ouïe de Swan, et quand elle reprit la parole, il sentit son cœur se fissurer. Il n'eut pas le temps de répondre quoi que ce soit que le téléphone bipa à nouveau.

Il n'avait pas le temps de se poser de questions, l'appel à l'aide de son amie d'enfance avait été trop déchirant pour qu'il se permette d'en perdre. Il soupira de détresse avant d'oser entrer à nouveau dans le carré vitré et d'interrompre les discussions au profit de sa prise de parole : je suis désolé, mais j'ai une urgence. Il faut absolument que je m'absente. Son intonation était confiante, mais il se tourna malgré tout vers le Procureur pour avoir son approbation. Swan n'avait jamais loupé une seule fois depuis qu'il était entré comme stagiaire dans l'établissement public, ce fut pourquoi son départ fut acquiescé sans aucune réflexion. Il remercia son maître d'un mouvement de lèvres avant de sortir et courir dans les allées qui menaient à l'extérieur de la bâtisse. Au-dehors, durant sa course, il se défit de sa veste, tira sur sa cravate neutre et détacha les premiers boutons de sa chemise.

Il continua de courir, le plus vite que ses jambes pouvaient le porter, et ainsi l'étudiant arriva devant la maison présidentielle en peu de temps. Décoiffé, il avait perdu de son charisme, mais cela n'empêcha pas les gardes de le reconnaître et de lui ouvrir le passage. Lexie, appela-t-il son amie tout en parcourant les couloirs, le souffle court d'une respiration vive. Ses grands membres inférieurs marchaient puis trottinaient à la recherche de la jolie rousse, et ses cordes vocales vibraient à chaque fois qu'il usait de son prénom. Rapidement, comme s'il s'en doutait, il arriva devant la porte de sa chambre et frappa au centre en la nommant : Lexie.

Le temps s'écoulait étrangement, sans doute parce qu'elle avait trop mal pour y prêter vraiment attention. Elle ne savait pas depuis quand elle attendait Swan, et les larmes coulaient trop pour qu'elle puisse récupérer son téléphone et regarder l'heure. Elle avait juste l'impression de pleurer sans pouvoir s'arrêter, malgré l'épuisement qu'elle ressentait.

Elle finit par entendre quelqu'un frapper à la porte, ainsi que son prénom prononcé par la voix familière de Swan. Ses jambes tremblèrent sous elle quand elle se releva, et elle manqua de tomber quand le sang afflua. Elle retint un soupir de douleur, chaque pas lui faisant mal alors qu'elle sentait le fourmillement dans ses jambes. Elle était restée trop longtemps pelotonnée dans un coin de sa chambre, et son corps le lui faisait clairement comprendre.

Elle finit pourtant par ouvrir la porte, pour tomber dans les bras de Swan, cherchant désespérément un peu de soutien. Elle devait avoir fière allure, avec ses yeux rouges et gonflés, et les larmes qui dévalaient encore ses joues... Quoique ce n'était pas la première fois qu'il la voyait dans un sale état.

« Merci d'être là » murmura-t-elle, la voix encore enrouée de pleurs.

Elle finit par se reprendre et se redresser un peu, le laissant entrer dans sa chambre. Ses parents détesteraient certainement savoir qu'elle était seule avec un garçon - mais c'était Swan, ce presque frère avec qui elle avait quasiment grandi.

Elle s'assit sur son lit, serrant ses jambes contre elle et tentant de contrôler les sanglots qui arrivaient encore. Comme si son esprit refusait encore d'avancer, bloqué à la lettre de rupture de Riley et cette sensation de vide et de froid qui l'avait envahi alors qu'elle la lisait.

« J'aurai dû t'écouter et ne pas trop m'accrocher à Riley » reprit-elle, essayant d'expliquer la situation à son ami.

Lexie avait du mal à le dire à voix haute, comme si elle craignait que ça rende les choses plus réelles. Pourtant, au fond d'elle-même, elle savait qu'il ne reviendrait pas. Il aurait été exilé par le gouvernement vu ses actions, et il valait mieux pour lui qu'il fuit et qu'il vive.

« A croire que je ne sais que faire de mauvais choix... »

Elle essuya ses joues d'un revers de main, mais ça n'empêcha pas les larmes de continuer à couler. Elle avait juste envie de s'écrouler et de tout oublier, de repousser tout ça à un autre moment, plutôt que de subir la douleur sans réussir à l'arrêter...

Swan eut à attendre un petit temps derrière la porte, temps qui lui parut durer une éternité vue la voix très grisée d'Alexandra au téléphone. Il attendit pourtant, persuadé qu'elle ne pouvait que se trouver dans l'antre de sa chambre, et il eut raison. La poignée mouva sous ses yeux et il attendit de pouvoir découvrir sa meilleure amie pour analyser la situation. Malheureusement, cette dernière fut plus rapide, au point qu'il ne put qu'à peine entrevoir son visage. Elle se jeta sur lui, il l'a recueillie et n'hésita pas à l'enlacer de ses bras. Il était encore complètement inconscient de la situation, malgré tout, il pouvait sentir la tristesse dans les larmes qui tachaient son haut, et qui devaient avoir fait de même sur le visage de la rousse.

Ils restèrent ainsi jusqu'à ce que la fille du Président ne sente plus la nécessité de joindre son corps contre celui de Swan. Le jeune homme était resté silencieux jusque là. Il avait préféré le silence aux questions, quand bien même elles étaient nombreuses au sein de sa tête. Il savait que son unique présence était réconfortante, qu'il n'avait aucunement besoin de mêler des mots à la douceur de ses doigts qui avaient caressé, instinctivement, la chevelure de sa demoiselle de toujours. Il attendit qu'elle recule assez pour passer la chambranle de la pièce, puis il referma la porte derrière lui pour éviter de laisser ouïr à d'autres leur conversation. On savait que dans un endroit tel que celui-ci, les murs avaient des oreilles.

Lorsqu'Alexandra alla s'asseoir sur son lit, presque en titubant, -comme si ses jambes n'étaient plus assez fortes pour la soutenir-, Swan resta face à elle, profitant de ce moment pour deviner depuis combien de temps les perles dévalaient ses joues. Elle prit la parole, et même le plus simplet des habitants aurait compris qu'il s'agissait de sa relation sentimentale. Cela fit serrer la mâchoire de son meilleur ami, pourtant il resta calme et muet. De toute façon, il n'aurait su dire quelle émotion était la plus proéminente : la colère, la compassion, l'angoisse. Il ne faut pas toujours croire à ce que je dis, tenta-t-il pour ne pas lui donner tout le tord de ne pas l'avoir écouté. D'ailleurs, il ne se rappelait même plus l'avoir avertie. 

Il était certain que Swan n'avait pas apprécié son histoire d'amour avec Riley, qu'il avait pensé que ce jeune homme n'avait pas les qualités nécessaires pour rendre Alexandra heureuse; mais, à ces yeux, qui les avait ? Personne n'était assez digne pour obtenir l'attention de sa meilleure amie, selon lui. Un soupir s'échappa de ses narines, puis il vint s'asseoir auprès de celle qu'il aurait dû protéger davantage du mauvais côté des hommes. Ses paumes posées de part et d'autre de ses propres jambes, il demanda : est-ce qu'il t'a fait mal ? Il voulait savoir s'il avait été violent, ou s'il avait abusé d'elle, car ça serait le pire de tout, et pour sûr qu'il s'en voudrait, ferait tout pour le retrouver et lui mettre la raclée de sa vie.

Tu sais..., recommença-t-il une fois qu'il eut sa réponse; positive ou négative, il agirait plus tard en conséquence s'il le pouvait, les hommes peuvent se montrer un brin trouillard quand une relation commence à prendre un peu trop d'ampleur dans leur vie, fit-il, -parce que lui aussi s'était réfugié de plus belle dans ses études lorsqu'il avait compris le sérieux de ses sentiments pour sa compagne-, peut-être a-t-il simplement besoin de s'éloigner pour un moment, le temps de remettre tout en place dans sa tête, essaya-t-il de la rassurer même si, au fond, il espérait qu'il n'ose s'approcher de nouveau d'elle. Et il avait envie de crier que, de toute façon, elle valait tellement plus que lui, mais on lui soufflait que ce n'était pas le bon moment.

Elle l'aimait encore, au fond, pas vrai ?

C'était réconfortant d'avoir Swan auprès d'elle. Même s'il n'était pas le plus à l'aise en terme de relations sociales et surtout de réconfort, Lexie savait qu'elle pouvait compter sur lui. Ils étaient amis depuis tellement longtemps qu'il était presque de sa famille. Elle était certainement plus proche de lui qu'elle ne le serait jamais de Victoria - et sans doute de Charlie, vu qu'ils ne s'étaient pas parlés depuis des mois.

Il fallait pourtant qu'elle trouve le courage de parler un peu, entre les larmes qui ne cessaient de couler. C'était difficile de se calmer alors qu'elle avait encore l'impression que son cœur était en train de se déchirer en deux, la faisant horriblement souffrir.

Elle réussit pourtant à lui faire comprendre que le problème venait de Riley, et la première question de Swan la fit se figer. Elle n'aurait pas pensé qu'il aurait peur de violences de ce type. Même si c'était effectivement une possibilité dans la société dans laquelle ils vivaient. Ce qu'elle détestait, vraiment, même si elle ne pouvait pas y faire grand chose.

« Il ne m'a pas fait de mal, promis » s'empressa-t-elle de clarifier. « Il n'a pas porté la main sur moi, et n'a pas essayé de me forcer à faire quelque chose ! »

Tout avait été consenti durant la période où ils avaient été ensemble. Riley était respectueux, même si ces derniers mois, les choses avaient été compliqué. Parce qu'il s'éloignait, et cachait des choses à Lexie - pas des histoires de tromperie, mais des détails de sa vie personnelle auxquels il essayait de ne pas l'exposer. Elle avait pourtant tout fait pour être là pour lui, mais s'était sentie totalement impuissante, à le regarder partir loin d'elle.

« Mais il ne reviendra pas. Ou alors, pas avant qu'une révolution ne renverse le gouvernement actuel » souffla-t-elle.

Lexie n'avait même pas l'envie de se lancer dans un débat politique, ce n'était absolument pas le moment. Mais elle n'arrivait pas non plus à faire comprendre à Swan ce qu'il s'était réellement passé... Elle sortit donc de sa poche son téléphone, navigant jusqu'à retrouver le dernier message de Riley. Un texto rapide, dans lequel il lui disait avoir tué son père et devoir fuir pour échapper à la prison - voir à pire que ça.

« Je savais que les choses étaient compliquées avec son père, et normalement il était en prison, loin d'eux et ne pouvant pas leur faire du mal. Riley ne m'a même pas dit qu'il était sorti et qu'il était de retour dans leur vie ! »

C'était frustrant de prendre la mesure de tout ce que Riley ne lui avait pas dit. Elle aurait pu l'aider, ou au moins le soutenir, mais il s'était juste coupé de tout. En fait, elle n'était même pas sûre qu'il en ait parlé à sa mère, pour la protéger de cet ex-mari qui l'avait déjà fait souffrir. Pour autant, il en était arrivé à des extrémités qui auraient sans doute pu être évitées s'il avait accepté de parler de tous les problèmes qui s'accumulaient dans sa vie !

Il ne l'avait pas touché sans qu'elle n'ait donné son consentement, et à ce moment-là il avait repris une respiration plus posée. Personne ne pouvait vraiment savoir ce qui aurait pu se passer dans la tête de Swan si ça avait été le cas. Il fallait dire que son air d'enfant de bonne famille ne laissait aucunement présager qu'il était capable d'entrer dans une rage aveuglante pour les gens qu'il aimait; parce que oui, il l'aimait la rousse de son enfance. Malgré sa timidité de l'époque, il avait su, dès le premier regard posé sur elle, qu'il ferait partie de son quotidien, et ça n'avait absolument pas loupé. Des amis, une fratrie, rien ne pourrait enlever la loyauté qu'il avait envers leur relation, pas même qu'elle ne choisisse des "rebelles" comme compagnon de son cœur.

En parlant de rébellion, le sujet vint à eux sans qu'il n'y soit vraiment invité, et entendre ces mots de la bouche d'Alexandra le fit froncer les sourcils et baisser les pierres. Est-ce qu'elle les prononçait dans l'espoir que cela se réalise ? Il n'espérait pas. Même s'il avait conscience que d'innombrables erreurs et injustices étaient commises chaque jour, il ne pouvait permettre à quiconque de parler ainsi du gouvernement qui lui avait permis de garder une certaine dignité de vie. Sans ça, il aurait fini dans un orphelinat, loin de ses repères, éloigné de sa caste d'origine, pour se retrouver où, chez qui ? Il était reconnaissant aux efforts qui avaient été faits pour lui épargner cet enfer. Pire que tout, auraient-ils pu nouer un lien aussi fort ? Se rendait-elle au moins compte du poids de sa parole ?

Il resta muet, même s'il eut l'impression soudaine que le retour de Riley était bien plus important que ce que le gouvernement leur avait permis de devenir tous deux, et porta son regard sur le portable qui fut tendu avant de le prendre en main. Il lut le message personnel qui était dédié à Alexandra, et s'il avait dû ressentir une quelconque émotion, ce fut complètement raté. Ni empathie, ni compréhension, vinrent pleurer sur la pauvre histoire du caste 3. Ce qui me parait compliqué, c'est d'imaginer qu'il ait pu choisir le passé à son présent, articula-t-il, il a fait le choix minable de réagir à son sentiment impulsif plutôt que de penser aux conséquences désastreuses qui en résulteraient, décrit-il sans pour autant montrer une once de colère qui, pourtant, était bien présente dès lors qu'il avait touché au coeur de son amie.

Ni la peur, ni la haine, qui semblaient s'expliquer par une situation familiale compliquée, n'excusaient le tord qu'il avait fait à la rousse; et dire que Swan avait failli remettre en question ses premières impressions sur le jeune homme. Ne lui cherche pas de raisons valables, quémanda-t-il presque, avant de tourner son faciès vers celle qu'il avait longtemps considéré comme sa véritable sœur, il ne mérite pas tes larmes, encore moins ton inquiétude ou cette culpabilité que tu sembles porter silencieusement sur tes épaules, lui interdit-il, je ne veux pas que tu souffres à cause d'un gars. D'un "gars". Il ne parlait que très rarement de cette manière familière et pourtant, là, tout de suite, il en avait besoin, presque incapable de cacher la souffrance de la voir aussi malheureuse pour un type de son genre.

Viens là, s'offrit-il le droit de passer un bras autour d'elle pour la rapprocher, puis un deuxième pour l'encercler, faisant tomber le mobile sur les draps du lit. Il n'était pas toujours démonstratif, mais il savait choisir les bons moments pour la câliner; comme à la bonne époque. Une main à l'arrière du crâne, il lui caressa les cheveux quand l'autre venait et allait le long de sa colonne, là, au milieu de son dos. Et, après un court instant, il murmura au creux de l'oreille de la plus jeune : promets-moi que tu ne referas plus jamais la même connerie.. Promets-le moi. Cette connerie de faire confiance à un homme qui en était complètement indigne.

Lexie connaissait Swan depuis tellement longtemps que c'était presque comme s'il avait toujours été là. Elle le connaissait par cœur et savait lire en lui, comme une seconde nature, comme un lien qui existerait toujours entre eux. Il était Swan, après tout, le garçon avec qui elle avait grandi, et dont elle avait appris à décortiquer les réactions comme elle le faisait avec Charlie et essayé de le faire avec Victoria.

C'était pour cette raison qu'elle n'avait pas besoin de discerner son ami malgré les larmes qui embuaient son regard pour savoir qu'il n'était pas d'accord avec les paroles qu'elle venait de prononcer. Elle n'avait pas essayé de critiquer le système - elle ne le faisait jamais face à Swan, refusant que la politique ne les sépare -, elle avait juste regretté comment le gouvernement et la politique mise en place l'empêchait de pouvoir prier pour une fin heureuse. Mais ça avait suffi pour tendre imperceptiblement son ami, sans qu'il n'ait besoin d'ouvrir la bouche.

Lexie savait depuis longtemps qu'elle n'adhérait pas aux mêmes idées que Swan. Il était un ardent défenseur de The Alternative quand elle faisait tout pour démonter leurs idées et accéder à plus d'égalité entre les castes. Trop d'injustices, même à ses yeux de privilégiée - tout aurait peut-être été plus simple pour elle si elle avait accepté sa position.

« Il a toujours été quelqu'un d'impulsif » souffla-t-elle, presque jalouse.

Elle avait appris depuis son plus jeune âge à être sage et calme, à ne jamais dévoiler ce qu'elle pensait réellement. Elle était la petite dernière parfaite, qui ne perturbait pas les événements importants quand elle accompagnait ses parents, et qui ne faisait pas de vague, même actuellement. Elle avait toujours un peu envié la faculté qu'avait Riley de dire ce qu'il pensait au moment où il le pensait, même si ça leur avait aussi provoqué quelques disputes.

Une attitude qui ne pouvait que déplaire à Swan, bien évidemment. Il avait reçu à peu de choses près la même éducation que les enfants Miller, mais il avait retenu, comme Victoria, la rigueur et cette capacité phénoménale à se détacher de ses sentiments pour agir avec raison. Quelque chose que Lexie n'avait jamais su faire - même si elle avait tenté de les contenir en investissant son énergie dans des combats qu'elle jugeait utile, comme plus d'équité dans la restauration des bâtiments, notamment dans ceux des quartiers défavorisés.

Et même si quelque part, que Swan veuille la protéger apaisait un peu les tourments de son cœur... Elle n'aimait pas entendre la colère dans son ton quand il parlait de Riley. Quoi que son (ex-)amoureux ait fait, il restait quelqu'un qu'elle appréciait et qui allait lui manquer.

Elle se laissa pourtant aller dans les bras de Swan. Elle avait désespérément besoin de réconfort, même si elle savait qu'elle ne serait pas d'accord avec lui. Ils avaient des vues trop différentes sur ce genre de sujets. Mais ils faisaient tout pour que ça ne casse pas leur amitié, ce qui était plutôt positif vu la situation actuelle.

Son front posé sur l'épaule de Swan, les yeux fermés pour contenir les larmes qui lui venaient encore, Lexie essaya de respirer lentement, pour se calmer. Elle essayait de se réconforter contre son meilleur ami, et d'oublier pour quelques précieuses secondes l'horreur de la rupture, quand Swan le lui remit en pleine face...

« Je ne peux pas te promettre ça... » murmura-t-elle, les larmes coulant de nouveau sur ses joues. « Le cœur a ses raisons que la raison ignore, après tout. »

Si elle avait écouté sa tête, elle se serait sans doute mariée à un jeune politicien travaillant dans le sillage de son père ou à un garçon de la haute société, quelqu'un qui gagnerait à être vu non loin de Liam Miller. Peut-être même serait-elle sorti avec Swan, un homme qui était proche de la famille et qu'elle connaissait au point de lui faire confiance.

Mais elle n'était pas raisonnable et ne l'avait jamais été. Et c'était douloureux, souvent. Ça lui permettait aussi de vivre de jolies aventures. Parce que ça avait beau être douloureux de ne plus être avec Riley, elle gardait de merveilleux souvenirs de leurs mois ensemble...

« Tu n'as jamais été déraisonnable par amour ? » demanda-t-elle.

Autant par curiosité que pour savoir si Swan pouvait comprendre sa position actuelle. S'il était toujours resté droit et raisonnable, il n'était sans doute pas prêt de comprendre comment elle pouvait souffrir à cause de Riley et quand même chercher à lui trouver des excuses. Peut-être connaîtrait-il un jour cette sensation de perdre la tête, et s'y laisserait-il aller. C'était en tout cas tout ce qu'elle pouvait lui souhaiter.

Il s'y était attendu, à cette réponse. Même s'il avait espéré un peu de raison de la part d'Alexandra, ce ne fut pas une surprise pour lui de l'entendre exprimer la négation. Et il les sentit, ces larmes épaisses et humides qui dévalèrent à nouveau ses joues tâchées de points roux parfaitement circulaires. Non, il ne fallait pas qu'elle se rende coupable d'être aussi lâche face à ses sentiments, surtout pas. Alors, naturellement, il la serra un peu plus fort contre lui, et s'il n'avait pas été aussi fort pour garder ce sang-froid robotique qu'on lui avait appris à maîtriser, probablement que leurs larmes se seraient jointes à un moment donné. L'étreinte était la seule façon dont il pouvait user pour lui signifier qu'il était là, et serait là, à chaque fois qu'elle aurait besoin de lui, et ce qu'importait le pourquoi, qu'importaient leurs idéaux divergents, -il était prêt à les mettre de côté au moment voulu. Tout ce qu'il espérait était qu'elle puisse faire de même.

La voix brouillée de son amie refit surface, et c'eut l'effet de lui faire ouvrir les yeux sur ce mur où la tête de lit était accrochée. N'avait-il jamais été déraisonnable ? Allons, était-ce vraiment une question ? Le coin des lèvres se souleva, remonta sa joue contre les cheveux de sa Miller préférée, et il répondit : pour toi, ça compte ? Il plissa automatiquement les paupières en repensant à toutes ces fois où il s'était montré inconscient pour elle. Et même s'il se doutait qu'elle ne parlait pas de cet amour dont eux seuls avaient le secret, il ne pouvait faire abstraction de ces fois où il avait agi de manière irréfléchie. Dans combien d'endroits l'avait-il suivie alors qu'ils leur étaient interdits, tout ça pour s'assurer qu'elle ne se blesserait pas ? Se rappelait-elle de la fois où il s'était porté responsable afin de lui éviter une punition ? Est-ce qu'elle avait encore en tête le moment où il s'était fracturé le bras, ce jour où elle avait oublié de regarder à gauche, à droite, avant de traverser la route ?  

Et ils étaient encore bien nombreux, et tout aussi déraisonnables, ces exemples qui passèrent dans la volée. Swan était certain qu'il y en aurait plein d'autres, car petit ou grand, rien ne pouvait changer à quel point il pouvait être irrationnel pour elle; n'avait-il pas risqué sa vie, l'hiver dernier, pour la protéger ? Et ça le fit rire, en profita pour lui rendre sa liberté en défaisant son corps de femme de ses bras, recula puis se leva, le torse vibrant de bonne humeur et de gentille moquerie. Il se mit face à elle et l'observa, le sourire gigantesque, avant de dire : t'es vraiment irrécupérable, hein ! Elle osait encore penser qu'il était parfait, et que ses actions l'avaient toujours été, même après tout ça. Elle était la raison même du pourquoi il ne pourrait jamais atteindre la parfaite perfection. Dans un sens, c'était elle qui lui faisait perdre la tête, et le faisait souffrir de ses caprices, mais il ne pouvait le lui reprocher. Finalement, peut-être que ça lui plaisait ?

T'as assez pleuré pour aujourd'hui, vint-il cueillir les dernières perles qui avaient suivi les sillons transparents dessinés sur sa peau, va te débarbouiller et te mettre à l'aise, je t'attends sagement ici, fit-il, t'as vraiment une sale tête, grimaça-t-il avant de contourner le lit. Il s'assit de l'autre côté, sur les draps froncés de la literie, retira ses chaussures et s'allongea, le dos contre l'un des oreillers qu'il avait précédemment relevé pour éviter à sa colonne vertébrale de heurter le pan dur qui décorait le mur. Il ne se mit pas dans les couvertures, les réservait plutôt pour sa meilleure amie. Dans l'idée, il priait pour qu'elle puisse se reposer un peu, surtout après avoir exprimé les maux qu'emprisonnait son cœur depuis le départ de Riley. A moins que tu penses qu'on soit trop vieux pour ça, demanda-t-il tout en se redressant. Est-ce qu'ils étaient trop "adultes", maintenant, pour se câliner pendant les peines et doutes de la jeune femme ?

Ils en avaient eu l'habitude enfants, qu'en était-il à présent qu'ils avaient tous deux grandi ?

Lexie se mordit les lèvres, essayant de stopper ses pleurs. Même si elle appréciait que Swan soit là pour la réconforter, la serrant contre elle, elle savait aussi qu'il n'était jamais très à l'aise avec les contacts qui se prolongeaient. Elle devinait aussi qu'il se sentait impuissant devant ses larmes. Il n'y avait pas grand chose de raisonnable à se laisser aller comme ça, elle espérait juste que les sanglots l'aideraient à aller mieux...

Mais elle avait aussi besoin de se changer les idées. C'était la raison principale pour laquelle elle avait appelé Swan, pour ne plus pleurer seule la tête dans son oreiller mais avoir quelqu'un de présent pour la soutenir. Elle réussit donc à stopper un peu ses larmes, pour essayer de lancer une conversation avec son meilleur ami.

« Je suis la seule qui puisse te faire perdre la tête ? » releva-t-elle, sincèrement étonnée.

Elle aussi était prête aux plus folles inconsciences pour ceux qu'elle aimait - Charlie, Swan, ses amis... Riley aussi, même s'il avait décidé de partir de sa vie. Mais elle n'avait pas qu'une personne pour qui elle était prête à tout, et ça la rendait un peu triste pour Swan, qu'il ne puisse compter que sur elle, alors qu'il méritait tellement plus.

Surtout qu'il avait eu des relations. Même si elle n'était pas au courant de tous les détails, elle savait qu'il avait fréquenté des filles. Mais pas au point de les aimer et de tout faire pour elles ? Quand elle pensait à ce qu'elle-même aurait été capable pour Riley... Certes elle en souffrait maintenant qu'il était parti, mais elle avait aussi de bons souvenirs - certes, encore douloureux, bien qu'elle espérait pouvoir un jour y repenser avec nostalgie.

« On ne sera jamais trop vieux pour ça » reprit-elle, un léger sourire aux lèvres.

Ça faisait longtemps que Swan et elle n'avaient pas partagé un lit. Il était loin le temps de leur enfance sans soucis, des secrets innocents qu'ils se partageaient sous les draps, tout en mangeant des bonbons dérobés dans la cuisine.

Lexie se releva doucement avant de filer dans la salle de bain attenante, grimaçant devant le miroir. Pas étonnant que Swan l'ait envoyé se débarbouiller. Sous les pleurs, son mascara pourtant sensé être waterproof avait coulé, lui donnant un air de panda triste - ou l'air d'avoir deux coquards.

Elle s'empressa de se nettoyer le visage, mais elle ne pouvait pas faire grand chose pour ses yeux tristes... Elle attacha rapidement ses longs cheveux en une tresse lâche avant de retourner dans sa chambre, se laissant tomber sur son lit, contre Swan.

« Tu vas me lire une histoire comme quand on était enfant ? » plaisanta-t-elle.

Lexie n'était sans doute pas dans la meilleure des humeurs pour écouter des contes de fées et des histoires enfantines. Mais leurs positions étaient un rappel de ses souvenirs d'enfant, et ça l'apaisait un peu de se concentrer sur tout ça, plutôt que de rester focalisée sur son principal problème du jour... Ce qui était déjà une belle avancée, par rapport à l'état dans lequel elle était quand Swan était arrivé.

« Quoi que je sois pas la meilleure compagnie pour une soirée pyjama... Je suis désolée » marmonna-t-elle.

Il avait simplement souri à son étonnement; elle était vraiment irrécupérable. Il n'avait pu en dire davantage, au risque de briser le secret qu'il partageait avec Charles et qui, malgré les années à vivre séparés, avait continué à perdurer en tant que tel pour ne jamais heurter quiconque. Swan s'était installé de l'autre côté du lit, comme si de rien n'était, mais dans un coin de sa tête, il se rappelait de cette journée où il avait invité le fils Miller à découvrir sa collection de livres. En toute discrétion, il l'avait fait entrer dans l'appartement de McCarter et lui avait ouvert les portes de sa pièce la plus intime, celle où personne n'avait pu y mettre les pieds auparavant, mis à part l'orphelin : sa chambre. Et il avait fallu d'un tiroir entrouvert pour faire éclore une vérité qui n'aurait jamais dû être révélée, de quelques bouts de papier gardés pour que la cachotterie ait assez duré. L'ordre s'était élevé de la bouche du plus vieux : ne lui donne jamais; ils étaient encore adolescents.  

Jamais trop vieux pour ça, il l'espérait bien. Dans l'attente de récupérer sa meilleure amie partie se rafraîchir, il déboutonna sa chemise salie par le maquillage de la jeune femme, s'en défît, ainsi que de sa cravate déjà dénouée, et les laissa tomber à terre. Il vérifia que son T-shirt blanc n'ait subi le même sort, mais heureusement, aucun transfert ne fût à déplorer. Il s'allongea alors à nouveau et patienta un bras sous sa nuque. Il en profita pour se remémorer le contenu de ces lettres, et ses lippes ne purent que dessiner une esquisse à demi nostalgique. Aux mots simples d'enfant écrits dans un attaché impeccable, aux stylos de couleurs utilisés pour exprimer l'émotion de l'instant, aux quelques émoticônes posés de-ci de-là sur le papier, à la signature tremblante et encore indéfinie en bas de page, il sourit; à la première confidence inavouée, à un premier amour de jeunesse. Il avait douze ans, et cela dura trois ans.

Trois années où toute occasion avait été bonne pour griffonner sur un papier. Papier qu'il avait acheté au prix fort de ses économies. Pour marquer sa sincérité, peut-être même pour lui prouver l'importance qu'elle avait à ses yeux. Pourtant, ces mots n'avaient jamais été donnés à l'intéressée, car à chaque fois qu'il aposait son autographe et qu'il les relisait, il se ravisait, jetait la feuille au fond d'un tiroir et ne l'ouvrait plus. Tout du moins, pas avant qu'une autre correspondance vienne rejoindre les précédentes. Probablement dans l'espoir que ses sentiments ne s'effacent au même titre que les lettres étaient oubliées; balivernes ! Il avait fallu que le hasard, -ou l'inconscience de Swan-, mette Charles sur la route des déclarations pour que tout s'arrête. Et bien qu'il avait préféré les conserver, du jour au lendemain, l'Asiatique avait arrêté de transférer l'amour qu'il avait ressenti pour son amie sur des copies. Aujourd'hui, elles croupissaient encore dans une boite en bois cachée sous le lit de la chambre qu'il louait à Victoria.

Lorsqu'Alexandra réapparut, il tendit son bras sur l'oreiller de la rousse, offrant de nouveau son étreinte et la couvrit du drap dans lequel il ne s'était pas aventuré; tout semblait révolu, à présent. Si tu me le demandes, répondit-il, rieur, tout en sortant son téléphone de la poche arrière de son pantalon, ce n'est pas les contes modernes qui manquent sur internet, parcourra-t-il ses notifications rapidement avant de mettre son mobile en mode vibreur. Il avait le don d'en inventer en fonction des demandes aussi, preuve que son précédent mi-temps à la bibliothèque n'avait pas servi à rien; combien de fois avait-il animé des activités extra-scolaires auprès d'enfants, là-bas ? C'est moi qui devrais être désolé, contra-t-il, je ne suis pas trop dans le thème, plaisanta-t-il à son tour, marquant le fait qu'il n'avait pas son pyjama sur lui. La prochaine fois, on se prévoit une soirée grandiose, rien que toi et moi, promit-il; et on savait qu'on pouvait faire confiance à ses promesses.

Pour l'heure, j'te propose de fermer les yeux, glissa-t-il ses lèvres sur le haut de son crâne, juste après qu'il l'ait invitée à utiliser son torse comme coussin, demain est un autre jour, dit-il d'une voix douce, presque muette. Et même si elle pensait difficile de pouvoir faire abstraction de la douleur, il était sûr que les battements réguliers de son myocarde contre son oreille pourrait l'apaiser, et lui donner un rythme de croisière propice au sommeil. Quant à lui, il ne promit pas de rester, préféra faire abstraction de son départ proche. Le dernier train pour la Virginie était annoncé pour l'heure d'après, une heure qui lui restait pour endormir sa beauté dans ses bras. Il les voulait, les espérait, sécurisants. Il joua de ses orteils, tirant sur ses chaussettes de ces derniers pour s'empêcher de fermer les paupières, pour s'empêcher de rejoindre les bras aimants de Morphée. Il lutta, bailla. Lutta, bailla. Lutta davantage pour bailler encore plus. Lutta encore plus pour bailler davantage.

Mais peut-être pas assez encore : il s'endormit lui aussi, sous la chaleur transmise par ce corps collé contre lui. Ce corps qui manquait d'un repas, du souper, et qui inquiétera probablement une servante, ou pire encore, une mère. Dans la soirée, la nuit, ou le lendemain matin …

C'était étrange de retrouver Swan, après ces dernières années. Ils étaient restés amis, mais ils s'étaient éloignés, se rapprochant de leurs camarades de promotion ou des gens partageant leurs idées et valeurs. Et Lexie avait beau connaître Swan depuis toujours ou presque, depuis si jeune qu'elle ne savait même plus quand ils s'étaient rencontrés, elle savait que politiquement, ils étaient sans doute à l'opposé. Un sujet tabou entre eux, parce que ça les mettrait trop en difficultés de s'opposer ainsi l'un à l'autre...

Surtout quand elle avait tant besoin de lui dans sa vie. Il était comme un frère, toujours là pour la soutenir. Il avait accouru quand elle l'avait appelé, et elle en était immensément reconnaissante. Même s'il était certainement en colère contre Riley, il était là à la rassurer et à l'aider à se calmer. Elle n'était pas seule avec son cœur brisé, et ça l'aidait déjà beaucoup à ne pas se briser en deux.

Blottie contre lui, essayant de cacher combien elle avait juste envie de pleurer et d'évacuer sa tristesse, elle tentait de plaisanter. Elle ne voulait pas vraiment qu'on lui raconte une histoire, mais juste avoir quelque chose auquel penser, plutôt qu'à Riley. Et la voix de Swan avait cette familiarité qui l'aidait à se détendre en toute circonstance.

« T'excuse pas de pas avoir de pyjama... C'est à cause de moi que tu es venu directement du travail » soupira-t-elle, avant de froncer le nez en voyant la chemise qu'il avait enlevée. « Et je devrais m'excuser d'avoir sali tes vêtements ! Promis, normalement ça devrait bien partir, même sur du tissu blanc. »

L'avantage du maquillage biologique, même un peu onéreux, comme celui qu'elle portait. Il tenait mieux qu'à une époque, mais il restait généralement assez facile à enlever, un soulagement pour toutes celles qui finissaient en pleurs à un moment ou un autre. Et une encore meilleure nouvelle pour les hommes qui se retrouvaient parfois à essuyer leurs larmes.

La tête sur le torse de Swan, écoutant son cœur qui battait calmement, Lexie finit par être emportée doucement par le sommeil, bercée par le rythme régulier qui la calmait et l'avait aidé à faire le vide. Elle s'était malgré tout réveillée plusieurs fois dans la nuit, perturbée par cette présence dans sa chambre d'enfant - quelque chose qui n'était jamais arrivé puisqu'elle ne ramenait pas ses petits amis chez elle et n'avait donc que peu partagé son lit à la Maison Blanche.

Ce fut pourtant son réveil qui finit par la tirer du sommeil. Elle éteignit rapidement l'alarme, avant de filer dans la salle de bain adjacente. Une douche rapide, des vêtements propres et un léger maquillage lui permettant de cacher ses yeux rouges et cernés, et elle se sentait un peu prête à affronter la journée. Elle n'était pas vraiment en état, mais il fallait que la vie continue - personne ne lui pardonnerait de laisser tomber ses études pour un garçon qui lui avait brisé le cœur.

Elle retourna ensuite sur le lit, assise en tailleur, une main venant caresser les cheveux de Swan, décoiffés par la nuit peu confortable qu'il venait d'avoir. Elle culpabilisait un peu de lui avoir imposé tout ça, lui qui n'avait jamais été très fan du garçon avec qui elle sortait...

« Swan ? Swannie, il va être l'heure de retourner au travail » lui annonça-t-elle doucement, le surnom enfantin lui revenant instinctivement.

Elle attendit un peu qu'il se réveille bien, avant de lui laisser accès à la salle de bain. Elle se maudit de ne pas avoir glissé sa chemise sale à la machine la veille au soir, sachant qu'elle aurait été prête au matin. Il n'avait pas d'affaires de rechange, et Lexie doutait fortement du fait que Victoria accepte de ramener quoi que ce soit à son colocataire - honnêtement, elle avait même du mal à imaginer Swan et Vicks partager un espace de vie.

Pendant qu'il se préparait, elle prépara rapidement un petit déjeuner consistant. Plus pour Swan que pour elle, vu qu'elle n'avait pas d'appétit. Mais ils n'avaient pas dîner la veille, et Lexie connaissait assez son ami pour savoir qu'elle ne pourrait pas sauter un autre repas sans qu'il ne la dispute !

Contrairement à Alexandra, la nuit fut bien plus sereine qu'elle ne l'avait jamais été auparavant pour Swan. Normalement, et davantage, pris d'insomnies, cette présence à ses côtés avait eu le don de calmer ses maux nocturnes. Cette difficulté était apparue à la mort de sa mère, moment où il n'avait plus que ses propres bras pour le réconforter. Depuis ce jour, il avait toujours gardé une faible lumière allumée dans sa chambre pour apaiser les terreurs incontrôlées qui s'éveillaient dans la nuit, quand l'obscurité remplaçait les dernières lueurs du jour. Il expérimentait aujourd'hui un sommeil sans nuage, à tel point qu'il ne sentit même pas les mouvements de la rousse, la serrant davantage contre lui plutôt que d'ouvrir les paupières à son tour, ni n'entendit le réveil sonné au petit matin, fronçant simplement les sourcils en réponse au départ de la silhouette féminine qu'il avait agrippé comme l'on s'accrochait à un ours en peluche.

Il s'était tourné lorsque le matelas avait émis quelques soubresauts au lever de l'étudiante en architecture, et avait entouré l'oreiller de ses bras pour y déposer sa tête à nouveau, enfouissant son visage apaisé dans le tissu qui le recouvrait. Il mit en sourdine les bruits alentours, notamment celui de l'eau jaillissant dans la douche de la salle d'eau adjacente à la chambre, et les minutes passées lui permirent de se rendormir profondément, jusqu'à ce qu'une main ne vienne caresser ses cheveux décoiffés. Les paupières closes, il suivit les gestes délicats qu'effectuèrent les pulpes de la jeune femme, et le petit surnom vint se loger à son oreille pour accompagner un réveil qu'il ne souhaitait guère. Ses mains glissèrent dans sa propre chevelure ébouriffée alors qu'il levait un regard sur celle assise à ses côtés. Salut, fit-il simplement d'une voix très grave et froissée. Puis il attendit de se remettre de sa nuit avant de bouger, et de se lever.

Il agrippa la chemise et le nœud qui avaient dormi à terre et se dépêcha de rejoindre la salle de bain dans laquelle il s'arrêta sur les dégâts qui avaient parsemé son haut. Clairement, il ne pouvait se permettre d'enfiler celui-ci pour aller bosser, devra demander si une propre ne traînerait pas encore à la Maison Blanche ou retourner en Virginie, au risque d'être en retard pour la première fois de sa vie à son poste de stagiaire. Il ne passa pas grand-temps à l'intérieur de la pièce, parce qu'il se rendit compte que le sommeil réparateur lui avait ralenti les habitudes du matin. Pourtant, c'était tellement bon de se sentir bien moins fatigué pour débuter la journée; il espérait que ça puisse arriver souvent. Ses cernes avaient disparu en un tour de main, sa peau paraissait moins pâle, avait habillé quelques touches colorées, et il avait gagné deux ans de jeunesse. Si la présence d'une femme pouvait être aussi magique, pour sûr qu'il réfléchirait à donner plus de sens à sa vie privée.

Il revint ensuite dans la chambre pour rassembler ses affaires et ranger la chemise dans son sac à dos avant de rejoindre Alexandra dans la salle à manger étrangement vide. Tout le monde est déjà parti, s'inquiéta-t-il en prenant place sur l'une des chaises; allaient-ils encore avoir un peu de temps à passer rien que tous les deux ? J'avais vraiment pas prévu de passer la nuit ici, fit-il en posant son regard sur le visage encore légèrement fatigué d'Alexandra, j'ai complètement sombré, souffla-t-il, d'un ton rieur, avant de puiser un peu d'énergie supplémentaire dans la préparation qu'eut effectuée sa meilleure amie. Un petit-déjeuner copieux et équilibré pour bien commencer la journée, et il espérait sincèrement qu'elle allait en être, elle aussi. Non, mieux, pour s'en assurer, il prépara lui-même la tartine énergétique de la rousse. Du beurre végétal, une couche de cacao sans huile de palme et des rondelles de bananes fraîches : le mix de leur enfance.

A toi l'honneur, lui tendit-il tout en ouvrant lui-même la bouche pour lui mimer ce à quoi elle ne pouvait déroger. Et un, ah, long et enfantin joignit l'avancée de la tartine vers les lèvres de la jeune femme. Il lâcha lorsqu'elle se résigna à croquer dedans; surtout parce que, peu importait, elle n'avait pas le choix : les yeux de Swan étaient très expressifs lorsqu'il le décidait. Tu penses qu'il y aurait une chemise de Charlie qui traînerait encore dans son dressing, demanda-t-il, en préparant de nouveau la concoction, cette fois-ci, pour lui-même. Habillé du simple T-shirt de la veille, peu sûr qu'il soit accueilli dignement à l'intérieur du Ministère de la Justice vêtu ainsi, -même si cela ne dérangerait pas les petites nanas de l'accueil d'observer les formes sportives de l'étudiant. Il préférait rester discret. Il dévala ensuite chaque millimètre de peau de sa vis-à-vis avant de ne pouvoir s'empêcher de la rassurer sur son aspect physique : t'es jolie.

C'était important. Très important de rendre sa confiance à une femme qui avait été lâchement larguée par un homme.

Alexandra sirotait son thé, assise à la table de la salle à manger. Elle prenait le temps de bien se réveiller, tout en attendant que Swan soit prêt lui aussi. Si la table était bien garnie, grâce à la gouvernante qui officiait chez eux, elle se contentait pourtant d'une tasse de sa boisson favorite, pas sûre que son estomac en supporte plus. Elle n'avait pas faim, et projetait d'aller juste à l'université, et de grignoter quelque chose là-bas si elle en avait envie.

Swan semblait en avoir décidé autrement, puisqu'il s'empressa de lui préparer une tartine après qu'il l'ait rejoint dans la salle à manger. Sans lui demander, mais il la connaissait assez pour savoir qu'elle ne mangeait pas quand elle était triste.

« Je sais pas où est ma mère, mais mon père doit être parti travailler » répondit-elle, pensive.

Ses parents avaient toujours beaucoup d'occupation. Le départ de Victoria pour la maison de campagne qu'elle s'était achetée lui avait fait comprendre qu'elle était maintenant bien seule dans la Maison Blanche. Au moins, ça lui avait permis de passer un peu de temps avec son meilleur ami sans devoir passer sous le feu des questions de ses parents.

Lexie avait pensé que continuer à discuter allait changer les idées de Swan, mais il n'oublia pas son idée première pour autant. Il pressa la tartine contre les lèvres de la jeune femme, qui finit par se résigner et croquer une petite bouchée. Enfin, avec un peu de chance, il la laisserait vite tranquille, et elle pourrait évacuer le reste de sa tartine sans avoir à la manger... Elle regrettait infiniment de ne pas avoir un animal domestique auquel faire glisser la nourriture sous la table.

« On a plus d'affaires de Charlie. Tout ce qu'il a laissé là a disparu... Je sais pas trop ce que mes parents en ont fait » souffla-t-elle avec regret.

Elle aurait aimé pouvoir garder quelques souvenirs de son frère, duquel elle avait toujours été proche. Mais son père avait tout fait pour le faire disparaître de leur vie, comme s'il n'avait jamais fait partie de la famille - un point assez ironique, alors qu'il était le seul enfant biologique des Miller.

« Mais le si organisé Swan Cooper n'a pas de chemises de secours au travail ? En cas d'accidents de café ou je ne sais quoi ? » tenta-t-elle de plaisanter.

Elle posa sa tartine à peine entamée devant elle avant de resserrer ses doigts autour de sa tasse encore chaude. Au moins, elle put se cacher derrière quand ses joues rougirent sous le compliment de Swan. Elle ne s'y attendait pas, et n'était de toute façon pas habituée à recevoir ce genre de petites attentions. Surtout qu'entre ses yeux encore un peu rouges et les larmes qui menaçaient toujours de couler, elle était loin de se sentir vraiment jolie.

« Je suis pas convaincue, mais merci » souffla-t-elle. « T'es prêt à partir ? Tu veux qu'on passe t'acheter une chemise ? »

Elle pouvait même l'acheter, vu que c'était à cause d'elle que la précédente était dans un état lamentable... De façon totalement involontaire, certes, mais elle s'en voulait quand même un peu. Surtout qu'elle savait combien il était perfectionniste et voulait donner une bonne impression sur son lieu de travail. C'était donc normal qu'elle offre de quoi se faire pardonner.

Il allait être l'heure de partir, et elle prit une nouvelle bouchée de tartine, avant de commencer à débarrasser la table. Ce n'était pas vraiment à elle de le faire, mais elle se sentait toujours un peu coupable de laisser des choses derrière elle, peu importe depuis combien de temps ils vivaient à la Maison Blanche avec les domestiques. Elle n'avait pas été élevée comme ça et refusait de devenir une petite fille riche et assistée.

« On a tout juste le temps d'aller dans les boutiques de l'avenue principale » annonça-t-elle, tout en glissant une pomme dans son sac de classe.

Disparu. Les dernières affaires du dit Miller avaient disparu avec lui. Elles avaient probablement été cédées aux plus démunis, histoire de faire gagner quelques partisans au parti de The Alternative; c'était bien vu de donner. Mais le plus difficile était de se faire à l'idée que Charles n'avait plus donné signe de vie. Lui et Swan s'étaient toujours très bien entendus, et le trio qu'ils avaient formé avec Alexandra plus jeunes tendait parfois à manquer. Malheureusement, il avait très vite montré des signes d'impatience, et les disputes avec Liam avaient été trop récurrentes pour ne pas deviner que le jour de son départ, -de sa disparition-, allait sonner. Il n'était tout de même pas rare que l'Asiatique se demande où il avait bien pu se cacher toutes ces années, même s'il était fortement recommandé de ne plus mentionner le fait qu'il ait existé.

Je devrais y penser, répondit-il après avoir forcé une grimace coupable. Il avait beau être organisé, il y avait des situations jamais expérimentées qu'il ne pouvait prévoir, comme dormir de manière imprévue chez sa meilleure amie, et que cette dernière lui tache l'unique chemise qu'il portait avec lui. Pour autant, il ne parlait pas de façon à la rendre mal à l'aise. A ses yeux, ça n'était qu'un détail pour lequel une solution était facile à trouver. D'ailleurs, Alexandra lui en proposa une : faire du shopping avant de se rendre au travail. Une deuxième tartine en bouche, une main sur la tasse chaude, il jeta un oeil sur la montre qu'il portait à son poignet, et il put constater que, le Ministère se trouvant non loin, un détour était tout à fait envisageable pour lui. Si je me dépêche, je pourrais même passer au pressing pour un repassage express, déclara-t-il.

Seulement, la jolie rousse ne faisait pas partie de l'équation : question de bon sens. Il est préférable que tu te rendes directement à l'Université, affirma-t-il, sans lui laisser la moindre chance de pouvoir se joindre à lui, je ne me pardonnerais pas te savoir en retard, ajouta-t-il avant de boire d'une traite le café au lait d'amandes. Il se leva pour donner un dernier coup de main à la fille du Président, multipliant les allers-retours de la salle à manger à la cuisine avant d'enfiler son sac à dos sur l'épaule. Essaie de te concentrer sur tes cours, lâcha-t-il, parce que leur chemin allait très vite se séparer, et si ça ne va pas, tu sais où me trouver, l'invita-t-il à ne surtout pas hésiter. Il vérifia que personne ne se trouvait dans la même pièce et s'approcha de l'étudiante pour déposer un long baiser sur sa tempe, les yeux clos; il fallait qu'ils en profitent, ce n'était pas tous les jours qu'ils pouvaient se montrer expressifs.

Les secondes passées, il décida : je vais sortir par derrière. Il y avait toujours des curieux qui tournaient autour de la Maison Blanche, accrochés au moindre ragot qu'ils pourraient inventer et divulguer à la majorité de la population, et Swan ne voulait pas être de ceux qui aideraient à pourrir la réputation de son amie d'enfance. Fais attention à toi, lui demanda-t-il avant d'emprunter le chemin qui mènerait au jardin privé. Même si, au fond, il n'était en rien rassuré quant à l'état de celle qu'il laissait égoïstement derrière lui.