Installé sur son lit depuis le début de l'après-midi, blotti-là contre l'un des angles de sa chambre et emmitouflé jusqu'au torse d'un plaid décoratif, Swan s'était plongé dans un polar de Dan Brown, avait naturellement délaissé un temps les articles de lois. La fermeture de l'Université avait été officialisée depuis l'extinction complète de l'électricité, mais il s'y était tout de même rendu au matin pour en avoir le cœur net. Forcément, il avait trouvé portes closes, et le froid glacial avait eu le temps, en un aller-retour, de gercer ses lèvres. Les pompes à chaleur nouvelle génération du logement s'étaient appropriées assez d'énergie pour tenir au chaud les pièces de vie à une température agréable, et même s'il fallait user de l'eau à bon escient, la douche n'avait pas été assez froide pour congeler les corps des deux habitants de l'appartement. La femme-à-tout-faire avait demandé à prendre congés la veille pour prendre soin des siens, et Monsieur McCarter, -vu comme un homme intimidant, pourvu pourtant d'un grand cœur-, l'y avait autorisé. Ainsi l'Asiatique et son oncle de substitution s'étaient retrouvés seuls pour la première fois depuis leur colocation, mais n'en avaient pas profité pour passer du temps ensemble. Ils s'étaient affairés chacun de leur côté, espérant faire passer le temps plus rapidement, priant pour que le courant revienne et leur permette de reprendre le cours de leur existence.

A une quarantaine de pages de la fin, l'étudiant en droit s'autorisa à lever les yeux d'Origin et les porta sur la grande horloge en fer recyclé qui tique-taquait de son mécanisme à rouages. Elle était imposante sur le pan de mur couleur lin, suspendue au-dessus de la longue commode en bois vieilli, et se trouvait être le seul objet décoratif aussi charismatique, -si on passait outre le miroir à pieds posé à sa droite. Il descendit ses pierres sur les cadres qui habillaient le meuble à vêtements, et s'éternisa un instant sur les photographies de ses meilleures années, celles où son père et sa mère vivaient encore à ses côtés. Il prit une profonde inspiration après un temps et soupira au même moment où il agrippa son téléphone entre ses doigts, lassé. Instinctivement, sa main gauche referma le bouquin sur le marque-page qu'il avait pour habitude de changer de place à chaque fois qu'il tournait une feuille, et la quatrième de couverture se retrouva sur le drap de sa literie. Swan laissa l'écran de son mobile l'hypnotiser et il prit plaisir à naviguer d'une application à une autre malgré le peu de pourcentage de batterie qui lui restait. La barre clignotait à moins de quinze pour cent lorsqu'il cliqua de son pouce sur Perfect Neighbour. Il fit défiler les notifications puis ses affichages avant de s'arrêter sur l'historique de ses délations, là où son compteur était inscrit à bonne vue; ça lui remonta le moral.  

Passant sur le profil de ses contacts, celui d'Alexandra retint son attention. Le mois passé, il était passé faire un tour sur ses publications et avait marqué un arrêt sur le dessin qu'elle avait posté tard dans la soirée. L'homme ne lui disait absolument rien, mais il devait avoir une certaine importance dans le cœur de la jeune femme pour qu'elle l'utilise comme modèle. Cela l'avait à peine tourmenter au début, mais à force de laisser passer l'occasion d'en parler sérieusement avec elle au détour des couloirs de l'Université où ils étudiaient tous deux, connaître l'identité du garçon devint obsédante. Il fronça les sourcils avant de porter son attention sur les flocons qui tombaient à foison derrière le carreau de sa semi-baie vitrée. Le ciel s'assombrissait davantage, les nuages gris n'étaient plus que des éléments du décor de cette fin d'après-midi, et les réverbèrent n'y pouvaient plus grand-chose. Lui vint alors l'idée téméraire de faire fi des recommandations que le gouvernement avait apporté via Channel One. Il étira le haut de son corps, comme s'il venait de s'éveiller d'un profond sommeil, et tira le plaid qui recouvrit le livre policier avant de se mettre sur pieds. Il glissa ses orteils dans ses chaussons, plongea son téléphone dans l'une des poches de son jeans et sortit de sa chambre après s'y être isolé des heures durant.

Il ne prit pas la peine d'informer son parent de substitution de son départ et s'en alla vers le couloir où il enfila manteau, écharpe et bonnet, et troqua ses pantoufles pour des bottes marrons de la marque Mustang à l'intérieur rembourré. Il n'oublia pas le double des clés du logement avant de s'engouffrer dans le couloir, emprunta les escaliers sombres de l'immeuble réservé aux anciens hommes politiques et familles bourgeoises et quitta la bâtisse en empruntant le chemin blanc qui menait à la Maison Blanche. Il ne vivait qu'à quelques rues de la résidence présidentielle, ne mit qu'une quinzaine de minutes avant d'arriver au tournant du bureau georgien. Ses vêtements couverts de neige blême qui, à cause de la température négative, restait intacte, Swan resta à bonne distance et tenta d'entrer en contact avec Alexandra grâce à son téléphone, moment où une silhouette passa les larges portes du lieu et attira l'attention de l'Asiatique. Cette silhouette, semblant pressée, il l'aurait reconnu entre mille pour l'avoir souvent côtoyée. Il l'observa de loin, s'interrogeant sur la raison qui pouvait pousser la fille du Président Miller à enfreindre les restrictions demandées par son propre père. Il la suivit du regard tout en rangeant son mobile, observa l'itinéraire qu'elle paraissait suivre et eut aussitôt le pressentiment qu'il était préférable de ne pas rebrousser chemin, mais bien de l'escorter sans pour autant se manifester.

Ainsi, le Doctorat choisit de pousser sa curiosité au maximum en cheminant dans la même direction que son amie d'enfance; il la connaissait aussi aventureuse que lui, malheureusement.

* * * * * * * * * * * *

Attends, l'arrêta-t-il à la frontière du bidonville dans lequel elle semblait vouloir s'engouffrer. Sortant de l'ombre, réduisant la distance qui les séparait de plus grandes enjambées, sa voix grave la somma de s'arrêter. Je peux savoir où tu comptes aller comme ça, questionna-t-il la rousse, l'empêchant ainsi d’œuvrer comme bon lui semblait par sa présence à ses côtés. Il laissa ses sourcils prendre un peu de hauteur sur son front, l'expression figée par la froideur qu'avait apporté les intempéries sur Washington, avant de déplacer son regard de côté pour observer le bidonville Sud qui s'étendait à proximité, plongé dans la nuit alors qu'il n'était que dix-sept heures. Alors, c'est là qu'il habite, suspecta-t-il après avoir respecté un certain silence.

Qui cela aurait-il pu bien être d'autre ? A cette exclamation, Swan ne put garder son sourire rempli de malice, l'exposa généreusement et l'accompagna d'une expression rieuse, juste avant de se dire qu'il y avait probablement bien plus suspect dans l'histoire. Tout du long de l'escapade d'Alexandra, ils n'avaient eu que pour seule compagnie le ciel sombre et les billes glacées qui en tombaient. La plupart des citoyens avaient pris en compte les recommandations du Président, n'avaient pas tenté d'affronter les intempéries. Le peu de silhouettes croisées ne leur étaient apparues qu'éphémères, alors où était donc la Milice sensée les protéger ? Depuis le chahut du mois de Décembre, la sécurité avait été renforcée pour empêcher les méfaits de se produire dans les rues de Washington, pourtant, aujourd'hui, l'obscurité dans laquelle était plongée la ville ne semblait pas avoir dépêché les escadrons. Les centaines de mètres avaient été parcourus sans la moindre intervention milicienne, était-elle postée ailleurs ? La veille, Swan avait connu une certaine mésaventure, pensait encore que c'était la faute à pas de chance, mais qu'en était-il vraiment ? Que se passait-il dans les diverses allées qui distribuaient les bidonvilles ? La naïveté de l'étudiant était belle; il ne se doutait de rien.

Je parle de la personne pour laquelle tu sembles être tant pressée, répondit-il. L'Asiatique ne savait absolument rien des intentions d'Alexandra, mais il se doutait aisément que ce n'était pas pour voir du pays, -surtout pas en pleine panne d'électricité, ni en plein déluge. Elle s'inquiétait pour quelqu'un, mais qui ? Pour avoir côtoyé la famille Miller, il n'avait eu aucun mal à avoir vent des difficultés qu'ils avaient rencontré avec Charles, et des conséquences irrévocables qui avaient été prises à son encontre. Rejeté par Liam, le jeune homme n'avait eu d'autre choix que de quitter la résidence et de vivre comme si les liens n'avaient jamais existé. Qu'importaient le bien et le mal, il était tout naturel de s'en faire pour un membre de son sang, et la jeune femme avait assez de cœur pour faire abstraction du comportement de son frère et s'en inquiéter. Swan n'avait jamais trop dépassé les limites des bidonvilles, même lorsqu'il s'était engagé à en nettoyer les abords, mais se pouvait se douter que les difficultés rencontrées sur ces zones étaient exponentielles par rapport aux castes une et deux. Les avancées technologiques avaient permis aux pompes à chaleur d'être plus ou moins autonomes sans électricité, -même pour un temps limité-, mais étaient réservées aux méritants.

Les mobile-homes qui servaient d'abris aux plus pauvres des citoyens en étaient dépourvus, et cela aggravait forcément leur condition de vie, suscitait aussi une plus grande colère chez certains; ce pour quoi la direction empruntée par son amie d'enfance l'avait inquiété, en plus de le rendre curieux. Et toi, renvoya-t-il automatiquement la question, sans colère dans l'intonation, seul un brin d'exaspération face au côté aventureux de la situation. Il soupira, le souffle tiède se transformant en une fine fumée devant ses lèvres qui s'évapora, ferma les paupières, aussitôt désolé de sa négativité; ce n'était pas dans ses habitudes. J'étais venu pour te voir, s'enquit-il à l'informer, mais ton départ précipité de la Maison Blanche m'a surpris, avoua-t-il. En fait, reprit-il, haussant les épaules pour espérer conférer un peu de chaleur à son visage qui subissait la température, ça fait déjà un bon mois que j'essaye de trouver le bon moment pour te parler, haït-il ses trop longues réflexions, et je pensais que la fermeture subite de l'Université et l'ennui qui en a découlé m'étaient offert pour arrêter de repousser l'échéance, tentait-il encore de gagner du temps par des phrases longues et sans intérêt; ce qu'il remarqua, lui aussi. Il en rit, écartant par la même occasion les fissures présentes à ses chairs.

Pourquoi ça me semble compliqué de te parler maintenant, quand je n'éprouvais aucune difficulté avant, murmura-t-il pour lui même, peut-être un peu trop fort pour qu'elle puisse feindre de n'avoir rien entendu. Avant... mais avant quoi ? Swan se voulait de plus en plus prudent avec Alexandra, par peur de la froisser, par peur de la blesser, et cette réserve qu'il instaurait entre eux le bouffait, au fond. Il craignait de trop s'investir dans leur amitié, et de devoir assumer des conséquences qu'il ne pourrait accepter; c'était de plus en plus étrange entre eux, quelque chose d'invisible les séparait. Pourtant, il fallait bien qu'il se jette à l'eau, même s'il risquait d'en mourir congelé. Est-ce que..., commença-t-il d'une voix faible, avant d'humidifier ses croissants entaillés, rendant la sensation de gel d'autant plus désagréable, -pire que mieux-, est-ce que, par hasard, tu ne serais pas amoureuse, réussit-il à sortir d'entre ses lèvres malgré l'hésitation, repensant à ce dessin qu'elle avait posté sur son profil, -ce dessin d'un homme dont le visage ne lui paraissait pas familier, et qu'il n'avait pas réussi à trouver dans les dossiers qu'il avait consulté à la fac, est-ce que c'est pour lui que tu t'inquiètes, demanda-t-il, portant ses pierres sur le visage de son amie d'enfance, l'air totalement interrogatif, est-ce que... ça serait..., n'osa-t-il pas le souffler.

Un C3 ? ; pourvu qu'elle savait ce qu'elle faisait.

Swan avait réussi à voir vrai dans le portrait posté sur le profil Perfect Neighbour de son amie d'enfance, mais il avait tout de même eu besoin de la confirmation d'Alexandra. Quand celle-ci lui donna, l'Asiatique se retint d'exprimer l'étonnement de ses sourcils et il baissa simplement le regard sur la poudre blanche qui avait imprimé leurs traces. Qu'elle ait un copain lui importait peu, car il n'était probablement pas le premier de la rousse, mais qu'elle ait pu s'embobiner dans une relation avec un caste trois le surprenait. L'étudiante n'était pas parfaite, mais se trouvait toujours d'un rang social élevé - du fait de bonnes manières et d'actions répétées; se rendait-elle compte que les points contaient une part de la personnalité de celui qui en était détenteur ? On ne se retrouvait décidément pas "C3" par hasard, et c'était ce qui effrayait le Doctorant. L'excitation de sa vis-à-vis concernant le garçon et les sentiments qu'elle montrait forts fit relever les billes du plus vieux sur elle, et, malgré le peu de lumière qui s'échappait des appartements abîmés aux alentours, Swan tenta de détailler les traits de son visage.

Il fut forcé de répondre à l'étirement de ses lippes, - le sourire bien trop contagieux d'Alexandra ne lui laissa pas le choix. J'ai toujours pris trop à cœur mes études, ce n'est pas nouveau, tenta-t-il qu'elle puisse excuser ses agissements de détective. Il plissa les yeux, jusqu'à ce que ses paupières soient sur le point de se rejoindre, avant de porter son attention ce vers quoi la plus jeune se tourna. Une allée d'appartements insalubres aux crépis défraîchis, quelques carreaux de fenêtres brisés par les chocs thermiques ou par les disputes du quartier, des portes en bois dont la serrure était dévissée et des bougies pour accueillir la nuit froide. Au loin, un premier camp de mobile-home débutait sur le terrain vague, et Swan ne put restreindre son soupir; Alexandra comptait-elle réellement s'y rendre seule ? Ce n'est pas lui qui m'a poussé à te suivre, remit-il la situation, parce que ça n'avait jamais été dans son plan d'attendre d'être à la frontière du bidonville pour converser sur son copain, c'est ta sécurité qui m'a importé à ce moment-là, fit-il, conscient qu'il ne s'était pas laissé le temps de réfléchir.

Et maintenant qu'ils étaient à l'orée de la zone d'infortune, il était impensable pour le futur procureur de quitter les lieux sans son amie. Mais devinant sans encombre l'inquiétude que pouvait ressentir Alexandra pour ce fameux Riley, il n'eut d'autre choix que de lui proposer : je t'emmène jusqu'à lui. Un souffle d'air chaud s'extirpa de ses narines, gonflant une fumée épaisse et ajouta : s'il est aussi gentil que tu le dis, je n'aurais aucun mal à le laisser prendre soin de toi. Et ça l'embêtait de devoir avouer ça, si bien qu'il écrasa sa langue de ses dents avant de reprendre : accepte simplement que je te conduise à lui. Ou il fera en sorte de la raccompagner sagement, -ou sauvagement-, chez elle. Les derniers événements avaient montré une certaine hostilité de la caste inférieure pour celles supérieures, et l'étudiante qui se tenait face à lui avait beau ne pas être la fille privilégiée des Miller, elle n'en restait pas moins une. Les couches de vêtements pouvaient cacher son identité, mais si des malotrus trouvaient le moyen de porter un regard plus poussé sur la jeune femme, ils n'auraient aucun mal à remettre un nom sur son visage.

La coupure d'électricité devait les avoir énervé davantage, puisqu'ils savaient qu'ils allaient être de ceux à ressentir le plus les intempéries; entre autres, le froid mordant. C'est à prendre ou à laisser, articula-t-il du mieux qu'il put, parce qu'il valait mieux être deux que seul en cette crise. Il n'avait absolument rien d'un bodyguard, était tout le contraire d'un homme baraqué, mais ses entraînements pourraient servir au cas où ils rencontreraient une tension à l'intérieur du bidonville, - même s'il espérait que la chance soit avec eux. Il avait cédé, et pour montrer qu'il était sérieux dans sa proposition, fit le premier pas en direction du terrain vague, puis enchaîna un deuxième, et un troisième...

Il avançait droit devant sans savoir où cela le menait, mais ce qui était certain, c'était qu'Alexandra n'eut d'autre choix que de le suivre, -et ce malgré le fait qu'elle pensait qu'il ne lui était d'aucune utilité. C'était vrai, dans un sens seulement : Swan n'avait jamais porté de coups, n'avait pas l'intention de cogner un jour, mais est-ce qu'il n'était réellement question que de ça ?  Elle le rattrapa, histoire de pouvoir gérer les directions qui les porteraient jusqu'à son petit-copain. L'Asiatique était observateur, portait son attention sur toutes les ouvertures qui pouvaient laisser sortir un caste deux très défavorisé, ou un caste trois à la limite de prétendre à l'élévation de son rang. Les ruelles qu'ils dépassaient étaient rapidement inspectées par le jeune homme pendant leur descente géographique de l'échelle sociale, même si la luminosité se tarissait peu à peu des fenêtres des logements et qu'il devenait compliqué d'être affirmatif quant à l'absence de danger. L'étudiant leva d'ailleurs les yeux au ciel, là où les nuages s'étaient assombris ou avaient disparu suite au coucher précoce du soleil. La lune n'était pas encore montée pour apporter la sérénité nécessaire, alors il prit les devants pour éviter de faire face à l'obscurité qu'il redoutait tant. Les mains dans les poches de son manteau, à présent recouvert de neige, il agrippa de sa dextre droite la lampe de poche qu'il avait reçu la veille, -lorsqu'il s'était retrouvé coincé dans une épicerie-, la sortit et l'alluma tendue vers le bas pour éclairer au moins le chemin qu'ils empruntaient. 

Pour l'avoir côtoyé longuement après la mort de ses parents, la plus jeune ne pouvait qu'être au courant de sa peur du noir. Cela avait débuté la nuit où, après avoir lutté près de trente heures sans fermer les yeux, choqué et attristé du décès de son père, une amie de sa mère avait pris le relais -afin de la laisser se reposer-, tout aussi anéantie par la perte de son époux. Pleine de bonnes intentions, lorsqu'elle avait remarqué les paupières enfin lourdes du petit garçon, la quinquagénaire avait décidé de tirer les rideaux et, involontairement, avait utilisé une expression trop lourde de sens pour Swan. Ainsi, "l'extinction des feux" resta une hantise, ancrée dans sa tête comme étant l'éveil d'images où les flammes prirent la vie de son paternel, et menèrent à la perte de celle qui lui restait; un vrai choc psychologique. Il n'en parlait pas aisément, mais ceux qui connaissaient l'intégralité de son histoire avaient réussi à le deviner, notamment par les réactions qui s'animaient en l'absence de lumière. Le souvenir de la forte chaleur qui sortait du bâtiment faisait goutter la sueur, le goût de la fumée noire envahissait sa bouche, ses poumons et lui donnait l'impression de suffoquer, et les actions, les cris des femmes et hommes qui l'avaient entouré ce jour-là avaient pour habitude de l'agiter. La nuit était ainsi devenue sa pire ennemie. Pourtant, et malgré le fait qu'elle lui paraissait la plus dangereuse, voir le corps d'Alexandra se figer à l'entente de rires enjoués sonna automatiquement l'alarme. Il se stoppa, fut attentif et aux aguets. Et lorsque son amie d'enfance proposa de les éviter, il ne put qu’acquiescer.

Nous pouvons toujours rebrousser chemin et prendre une des ruelles pour les contourner, supposa-t-il à mi-voix, le faisceau planté à ses pieds pour éviter d'être facilement repérés; y'avait-il une meilleure solution ? Swan fit un signe de tête à Alexandra, lui faisant ainsi comprendre que s'ils voulaient bouger, c'était le bon moment. Le Doctorant recula de quelques pas tout en restant face à la rousse, s'assura que leur présence ne fut pas perçue par les énergumènes, mais tout porta à croire qu'ils étaient trop heureux de leurs exploits pour donner une quelconque importance à ce qui se passait aux alentours. Rassuré, l'Asiatique tourna les talons pour affronter le chemin qu'ils avaient parcouru plus tôt, mais l'énergie de ses pas fut très vite mise à mal par la compagnie imprévue qui sortit de l'ombre. Il s'arrêta, les trois hommes se positionnant de telle sorte à leur barrer la route. Tiens, tiens, tiens,... fit l'un d'eux, le sourire trop satisfait pour pouvoir s'attendre à une suite positive, qu'est-c'que des enfants d'riches font par ici. L'Asiatique serra la mâchoire, peu sûr qu'il s'agissait d'une véritable question, cela leur servait sans aucun doute à se mettre en appétit. Celui de droite émit un sifflement particulier en direction de la bande que les deux étudiants de caste une avaient désiré esquiver, -l'appel fut efficace. Le mâle du duo tourna légèrement le faciès vers ceux qu'ils avaient invité, et comprit aussitôt que sa meilleure amie et lui étaient encerclés. Au passage il lui porta un regard qu'il voulut rassurant, même si la situation était loin de l'être.

Il fallait réfléchir à une solution, et pour ça gagner du temps; deux contre sept, on ne pouvait dire qu'ils jouaient le parfait équilibre. Il fallait que l'un d'eux se fasse remarquer pour être pris à partie quand le deuxième devait s'activer à chercher de l'aide. Swan ne s'était jamais engouffré aussi loin dans les bidonvilles qu'il s'était donné pour mission de nettoyer durant ses congés, et ne connaissait personne à qui il pourrait attribuer le titre d'amis en caste trois. Par déduction, Alexandra était la seule à pouvoir les sortir de là, alors il pria pour que la situation ne la dépossède pas de tous ses moyens, les paupières closes, avant de se montrer dangereusement avenant en prenant la parole : nous ne cherchons pas les problèmes, nous voulons simplement rejoindre un ami pour... Il n'eut pas le temps de finir, -et clairement c'était ce qu'il avait espéré. Exaspéré par ce qu'il venait à peine d'entendre, l'un des types abattit son poing sur la mâchoire du fils Cooper, l'obligeant à lâcher la torche à piles. La droite claqua l'intérieur de la joue entre les dents du plus jeune qui n'eurent le choix que de se planter dans la chair, et les entailles de ses lèvres abîmées s'ouvrirent. Sa tête fut basculée vers l'Est et il eut à peine le temps de cracher le sang qui s'était déversé dans sa bouche sur la neige épaisse que le col de son manteau fut attrapé par l'énervé, mettant aux aguets ses acolytes qui se concentrèrent sur l'importun. A ta place, j'évit'rai d'ouvrer ma gueule, lâcha-t-il en plongeant ses pupilles dans celle du plus jeune, -qui osa tenir son regard un instant.

Je ne voudrais pas vous embarrasser,  dit-il poliment, mais on dit plutôt ouvrir. Ouvrer, ça n'existe pas vraiment, riposta-t-il sur la faute verbale que venait d'articuler son agresseur, volontaire à ce que la contrariété et l'agitation soient tournées vers lui pour laisser Alexandra jouer les héroïnes; pourvu qu'elle avait de quoi les tirer de là. Un faux rire s'échappa d'entre les lippes de son vis-à-vis. Soit t'es total'ment con, soit t'tiens pas à la vie, secoua-t-il l'Asiatique par le col. Vous pouvez me frapper autant que vous le voudrez, affirma-t-il après avoir essuyé de sa manche les petits filets de sang qui dépassaient de sa bouche, je ne rendrai pas les coups. Et c'est probablement ce genre de différences qui fait que vous continuez à rester des moins que rien, insista-t-il fortement sur l'appellation qui fit trembler les chairs du type, tordues de mépris et d'impatience. J'ai toujours voulu m'faire du C1, fit un autre, portant un regard malintentionné sur Swan quand un deuxième ajouta : et moi, baiser une C1. L'étudiant n'eut pas grand-mal à comprendre qu'il parlait d'Alexandra, mais le temps qu'il tourne la tête vers elle pour s'assurer que tout allait bien, deux hommes postés dans leur dos lui agrippèrent les bras pour l'empêcher de bouger. L'Asiatique eut beau crier à plusieurs reprises et dans des intonations différentes : lâchez-la, les sagouins préférèrent faire fi des menaces du brun et l'un ajouta : alors, c'ton jour d'chance mon pote.

L'étudiant se débattit pour échapper à la poigne du caste trois qui l'avait pris en grippe, et il sentit la colère monter en lui, l'adrénaline pulser ses veines, si bien que son instinct lui dicta de passer outre la bienséance, d'arrêter de demander clémence, et d'agir, qu'importaient les conséquences. L'une de ses mains, précédemment entourée -comme sa jumelle- autour du poignet du type, vint se poster sur le visage de son assaillant et, faisant abstraction de la blessure qu'il s'était faite la veille à sa paume, força pour lui écraser le nez quand deux de ses doigts se plantèrent sur ses paupières, -qui s'étaient spontanément fermées. La douleur lui fit lâcher prise, ce qui permit à Swan de se défaire de l'emprise du gars et de se jeter sur l'homme qui avait pris sa meilleure amie pour cible. Il le poussa, ses phalanges s'accrochèrent à ses vêtements défraîchis et il le somma de ne rien tenter sur elle, à ses risques et périls. Ses pierres n'avaient jamais exprimé une telle animosité, et sa voix n'avait jamais tonné d'une manière aussi animale. Son front se colla systématiquement sur celui de son adversaire avec vigueur mais, malheureusement, le nombre faisant, il ne put peaufiner ses menaces davantage, fut attrapé et un coup lui meurtrit l'estomac. Il n'eut pas la fougue de contracter ses abdominaux et se retrouva à genoux sur la poudre glacée, puis à quatre pattes. La dextre pansée sur l'entre-côtes, il expectora, laissant l'hémoglobine s'échapper en de longs écoulements.

Il fut maintenu par quelques acolytes, à tel point qu'il resta incapable de se lever pour apporter une quelconque aide à la jeune femme. A chaque essai qu'il effectuait pour se dégager des pattes de basse classe, il fut poussé davantage vers le sol; pourvu qu'elle avait eu assez de temps pour trouver une solution.

Il continuait à se débattre Swan, et ça ne semblait pas satisfaire ses assaillants qui usaient davantage de leur force pour éviter au plus jeune de faire des siennes. La tête tournée vers Alexandra, il voyait ô combien les doigts pervers voulaient s'approprier son corps, et c'était mal le connaître que d'espérer qu'il puisse laisser faire un acte aussi ignoble sous ses yeux. Le profil plaqué contre la neige fondue, écrasée contre un semblant de pierres ou de bitume abîmé, il n'avait que faire d'avoir le visage égratigné, forçait du mieux qu'il pouvait sur son thorax pour que la pression des mains sur ses omoplates puisse se faire moins lourde, en vain. Que pouvait-il faire face à quatre hommes pour qui ça ne devait pas être la première bagarre ? Il avait beau hurlé qu'ils n'avaient rien fait pour mériter ça, qu'ils n'étaient que de passage et qu'ils feraient mieux de ne rien tenter sur la jeune étudiante au risque de s'attirer de gros ennuies, les bandits paraissaient être devenus sourds, totalement absorbés par l'idée qu'ils avaient des suites à apporter à cette rencontre imprévue mais récréative à leurs yeux.

Il ne sut pourquoi ses paupières se fermèrent, il s'endormit brutalement. Était-ce la douleur qui l'avait obligé à s'accorder un temps d'arrêt, ou le froid qui, trop puissant, avait conseillé à son corps de se mettre dans un état de veille ? Qu'importait, il ne contrôla rien. Et même si ses muscles étaient encore contractés sous le poids des castes trois, il ne luttait plus, ne voyait plus, n'entendait plus. Il ne put compter les secondes ou minutes qui coulèrent entre temps, seule Alexandra serait à même de l'en informer. D'ailleurs, ce fut sa voix qui le sortit de son sommeil, le surnom qu'elle avait eu l'habitude de lui donner lorsqu'ils n'étaient encore que des enfants fut tel un électrochoc. Ses lèvres se tordirent en réponse à la douleur qui meurtrissait son estomac. Il rapprocha d'ailleurs ses genoux vers son abdomen, tentant de retrouver un quatre-pattes solide, mais ses mains trouvèrent plus important de venir se loger entre ses côtes, ses épaules à plat contre la neige piétinée. T'en as mis du temps, lâcha-t-il après avoir expectoré sèchement.

Il aurait voulu cette remarque accompagnée d'un rire amusé, mais ses lèvres étaient bien trop fissurées pour le lui permettre. Il accepta ainsi l'aide de son amie d'enfance et se releva non sans un gémissement de souffrance qui traduisait surtout la force du poing que le type lui avait planté dans la panse. Doucement, lui demanda-t-il de ralentir la cadence, même s'il était préférable pour eux qu'ils ne restent pas en plein milieu de la rue, à la vue de tous; qui savait ce qu'ils étaient capables de faire maintenant que leur ego avait été touché par une jeune femme d'une caste supérieure ? Il mêla piétinements et sautillements jusqu'au porche où désirait le mener Alexandra et se laissa tomber sous celui-ci, le dos contre le pan de pierres. Et alors que la fille Miller cherchait un moyen de les sortir de là, Swan usa de son manteau pour essuyer les filets de sang qui dégoulinaient de son arcade gauche, pétée, de ses lèvres, éclatées, les étalant bien plus qu'il ne les supprimait, mais au moins il voyait, en somme, un peu plus clair.  Arrête d'être désolée, la pria-t-il de ne pas s'en vouloir; ils étaient en vie grâce à elle, c'était tout ce qui comptait.

La paume de sa meilleure amie vint caresser quelques mèches de ses cheveux, et il se força à sourire à ce geste affectueux qu'il n'avait pas reçu d'elle depuis un bail, -voire jamais-, et ce malgré l'impression que les plaies presque sèches s'ouvraient à nouveau. Il l'avait apprécié, mais préféra venir chercher ses phalanges des siennes et porter amicalement sa dextre sur sa bouche après avoir rejoint les deux parties du manteau de sa partenaire de misère et l'avoir bouclé. Gardant l'épiderme de la rousse contre ses chairs, il articula ensuite : dis-moi plutôt si tu vas bien. Il se rappelait qu'elle avait été maintenue de force par deux hommes, et qu'elle avait été prise d'assaut par un troisième. Il s'était souvenu du regard qu'il avait porté sur elle, des pas qu'il avait effectué pour réduire la distance de leurs corps et des mains qui avaient dézippé son vêtement. Clairement, s'il aurait pu être battu à mort, les séquelles auraient été plus graves pour la jeune femme, davantage si elle n'avait pas réussi à agir à temps. Swan se permit de détailler le corps de sa vis-à-vis pour s'assurer qu'elle n'avait eu droit qu'au déboutonnage de son pare-dessus.

Confirme-moi qu'ils ne t'ont rien fait, fut-il suppliant, tout en levant les billes dans celle de son amie. Il les tint gravement afin de s'assurer qu'elle ne lui mentirait pas pour le protéger, -ou empêcher la colère de prendre possession de son état déjà bien lamentable. Ils paieront, promit-il à plusieurs reprises, je te jure qu'ils paieront. Maintenant qu'il était entré à l'intérieur du bidonville, il comprenait ce qui pouvait enrager la plupart des habitants des quartiers défavorisés, mais ce n'était pas une raison valable pour s'en prendre à des personnes qui ne pouvaient pas grand-chose à l'amélioration de leur vie quotidienne. Malheureusement, celles qui étaient susceptibles de changer la tournure des choses se cachaient volontairement dans leur tour d'ivoire et ne faisaient que de brèves apparitions quand le climat était propice et apportait la sécurité maximale exigée. Ainsi, Alexandra et lui-même avaient dû être les souffre-douleurs de l'énervement qui grandissait dans l'ombre, prêt à éclater quand l'aube se montrera la plus clémente aux grondements du peuple d'en-bas; et ça faisait flipper de penser à un possible coup d'Etat.

Aide-moi à me relever, lâcha-t-il enfin sa main pour tendre son bras afin qu'elle puisse le tirer et l'élever de toute sa hauteur, hors de question que l'on fasse marche-arrière, s'indigna-t-il à l'idée de baisser les bras, tu voulais savoir si ton copain allait bien, alors on va s'y rendre, quitte à longer les murs pour y arriver sains et saufs. Swan ne se sentait aucunement honteux de traverser le bidonville, il ne s'était jamais senti mal à l'aise face à un caste trois, -même s'il n'avait jamais considéré l'éventualité de devenir ami avec l'un d'entre eux. Dans son esprit, dans sa tête, il avait tout autant le droit de se trouver ici qu'eux-mêmes, -si on faisait exception du couvre-feu sonné par le Gouvernement. Quand bien même amoché, il gardait le même objectif, car il savait que cela pourrait rassurer Alexandra de savoir que ce Riley était hors de danger. Une fois su, à ce moment-là seulement, l'Asiatique n'hésitera pas à faire demi-tour, avec ou sans Alexandra, et portera plainte contre les malotrus qui leur avaient réservé un accueil effroyable.

Arrête, l'empêcha-t-il net de continuer à s'inquiéter et, par la même occasion, de le croire fragile au point de supposer qu'il ne pourrait l'emmener jusqu'à son copain. Il était certain que les hommes de son rang social ne s'amusaient pas à se battre à tout-va, étaient moins habitués aux embrouilles par peur de perdre quelques points sur leur compteur, mais dans une telle situation, tous se sentaient capable d'agir sans devoir réfléchir à ce petit détail, et Swan ne faisait pas l'exception. Certes, sans protection, cela était un peu plus douloureux que lorsqu'il recevait des coups de son entraîneur, mais il n'était pas rendu au point d'agonie. A présent debout, le bras autour des épaules de son amie d'enfance, il ferma les yeux un instant et soupira dans l'espoir d'apaiser l'écrasement qu'il sentait encore au niveau de son estomac, en vain, et le froid glacial ne semblait pas, non plus, rendre rapide la cicatrisation de ses plaies. Finalement, il avait tout de même la chance folle qu'ils n'aient pensé à viser ses jambes; le championnat de natation approchait.

Un demi-tour, deux pas en avant. Ce fut ce qui leur fut permis de faire avant qu'Alexandra ne soit sauvagement interpellée par une voix masculine. Les yeux plissés de l'Asiatique se levèrent pour deviner les deux silhouettes qui avançaient vers eux avant de les basculer sur ce qu'il pouvait apercevoir du profil de la plus jeune. L'expression qui côtoyait son épiderme n'avait rien de gaie, mais elle rassura tout de même l'étudiant, malgré le mélange de colère et de confusion, -peut-être même une touche de déception ? Aucune frayeur ne se fit voir, et cela aidait à comprendre qu'elle connaissait les personnes qui, elles aussi, s'étaient aventurées à l'extérieur malgré les intempéries qui n'en finissaient plus. Il resta muet, laissant la scène se passer. Il se rendit volontairement fantôme, loin d'apprécier être spectateur de scènes de ménage. Le plus dur, c'était qu'il ne pouvait même pas s'en éloigner au risque de causer plus de dommages. Il trouva intéressant de contempler les chaussures de l'adolescent qui accompagnait son frère jusqu'à être lui-même traité d'abruti.

Sa tête se ré-haussa sur son cou, comme il le put, et entrouvrit les lèvres pour proposer : et si vous repreniez l'engueulade plus tard ? Loin du froid, de la neige. Loin de l'endroit où ils s'étaient faits agresser, de ceux qui s'étaient acharnés sur lui et avaient failli souiller sa meilleure amie. Un endroit où ils pourraient tous être en sécurité, sans exception. Plus tard, ils pourront se donner rendez-vous entre quatre yeux et continuer à s'énerver l'un sur l'autre, pour mieux se retrouver une fois la peur évaporer. Et ce fut ce qui se passa : Riley demanda au plus jeune d'aider Alexandra à soutenir le poids du blessé. Ils marchèrent dans un silence presque pesant. Les seuls bruits qui coupaient de temps à autre le mutisme furent les gémissements que Swan ne pouvait retenir, bien qu'il tentait de minimiser la situation. Nul doute qu'il allait collectionner les hématomes, et que des cicatrices allaient joncher sa lèvre et son arcade durant plusieurs semaines, mais le principal était d'avancer vite pour éviter de tomber sur les voyous qui s'étaient faits un malin plaisir à les prendre en proie.

Ils arrivèrent devant le mobil-home et le regard ébahi de Swan face à la structure ne put que confirmer qu'il n'avait jamais eu l'occasion d'en voir un de ses propres yeux avant ça. Il détailla d'abord l'extérieur et, une fois la porte ouverte, inspecta brièvement l'intérieur avant d'y être hissé et d'être posé sur un sofa. Les mouvements furent un brin trop rapides, puisqu'il ne put retenir un cri grave, et une grimace fronça la totalité de son visage, écartant de plus belle la plus large fissure à sa lippe. Sa plainte n'eut pas uniquement cet effet, un nombre incroyable de paires de pas tapèrent le sol du logement. Si d'abord ce fut pour s'assurer que Riley et son petit frère étaient revenus sans encombre à la maison, la curiosité s'empara de tous les visages quand ils découvrirent l'inconnu dans leur demeure. Lorsqu'il défroissa les paupières, l'étudiant en droit posa ses pierres sur chacun des visages qui l'entouraient et il se restreint de s'exprimer, probablement par honte; il avait pensé que le petit-ami de la rousse habitait seul.

Dé..., commença-t-il, la bouche asséchée par les efforts qu'il avait dû faire pour arriver jusqu'ici, désolé de faire irruption. Me concernant, je ne suis que de passage, informa-t-il la famille entière qui commença à faire défiler bien trop de questions pour qu'il puisse se concentrer sur leurs voix. Non, Swan préféra porter ses doigts sur le manteau d'Alexandra, et il empoigna fermement le tissu de ce dernier pour inciter la jeune femme à se rapprocher de lui. Il faut que j'y aille, se montra-t-il pressé, suggérant indirectement qu'il fallait faire l'impasse sur les soins à lui apporter, je me ferai soigner chez nous, murmura-t-il; chez nous, à comprendre dans la partie de l'hôpital qui leur était dédiée en tant qu'enfants de politiciens. Ce n'était pas qu'il n'avait aucune confiance aux méthodes que pouvaient utiliser les castes trois, ni aux produits qu'ils pouvaient lui appliquer, -quoi que...-, mais son objectif de l'accompagner saine et sauve jusqu'à Riley avait été accompli. Il tenta un sourire avant de s'aider de l'avant-bras de la fille Miller pour se lever.

Je vais vous laisser, prévint-il en portant sa main gauche sous ses côtes. Debout, près du sofa, il mit un terme aux échanges qui semblaient expliquer ce qui s'était passé. Je vous demanderai juste de prendre soin de Lexie, au moins jusqu'à demain, fit-il, avant de garder en joug le compagnon de son amie. Leurs regards échangèrent un question-réponse durant quelques secondes; est-ce que Riley se sentait de la garder en sûreté sans qu'il n'ait à s'inquiéter ?

Les mots furent bruts et agressifs, pourtant Swan avait parié sur une articulation douce et chaleureuse. Il montra une certaine neutralité face au répondant injurieux du plus vieux de la fratrie, mais fut intérieurement choqué de constater que l'homme qu'avait choisi de côtoyer Alexandra ne savait voir la bienséance et l'amitié sincère en ses mots. Il y avait clairement un gouffre qui les séparait, l'Asiatique s'y était préparé durant le chemin, mais n'avait pas imaginé devoir faire face à tant de différences de comportements. Ils ne se comprenaient pas, -tout du moins, le plus jeune ne voulait pas essayer. Probablement que ça n'avait pas plu, à ce fameux Riley, de voir un autre homme accompagner sa copine jusqu'à chez lui, mais il faudra cependant qu'il s'y fasse, car l'étudiant en droit n'avait aucune envie de tirer un trait sur toutes ces années de sympathie et de complicité vécues auprès de la fille Miller. Son affection incomprise, il resta alors muet. Il préféra ne pas répliquer, bien trop épuisé pour trouver l'énergie de se battre contre ces enfantillages, bien trop calme pour supposer devoir justifier son lien avec Alexandra par les mains. Si bien qu'il laissa même le gamin l'obliger à s'asseoir à nouveau sur le canapé, ne montra aucun rapport de force. Il grimaça au toucher qu'eut subi le point de contact, et ne put s'empêcher de grogner face à la douleur qui, elle aussi, semblait être passée à côté de la moindre compassion du caste trois.

Heureusement, Swan put compter sur la réaction vive de la matriarche du mobil-home qui n'hésita pas à remettre en place son fils aîné. Une claque ainsi faite devant un parfait inconnu aurait eu don de mettre mal à l'aise l'Asiatique, mais il ne parut rien sur le visage du jeune homme qui lui faisait face. Le grand-adolescent fit très bien comprendre que tout lui était bien égal; se trouvait-il encore en pleine crise ? Le typé moyen-oriental reporta ses pierres sur celle qui portait sa famille sur les épaules et approuva une attention particulière à ses mots, acquiesçant légèrement de la tête pour se conformer aux souhaits de la mère. Il n'insista pas, comprit très vite qu'ils n'avaient pas tort : par ce temps et sa condition physique, il y avait de grande chose pour qu'il lui arrive quelque chose au-dehors, et ce avant même qu'il ne rejoigne la frontière. Il en profita pour laisser reposer sa colonne contre le dossier et passa un regard sur Alexandra pour s'assurer davantage que rien ne lui soit physiquement arrivé avant de lui sourire pour affirmation sa coopération; il acceptait de se rendre à l'évidence. Au même moment la grand-mère arriva avec une potion chaude dans une tasse et lui tendit, ce qui l'obligea à lâcher les yeux de son amie pour se concentrer sur l'hospitalité de la plus âgée. Khorosho quoi, articula-t-il interrogatif avant que la mère de Riley ne vienne à son secours pour une traduction plus succincte et peut-être moins effrayante.

Il prit le récipient, non sans une pointe d'hésitation dans son geste, et approcha ce dernier de ses narines pour en humer le contenu qui ne lui parut en rien ragoûtant. Ses lèvres se tordirent, et son nez se fronça; qu'avait-il fait pour mériter ça ? Il dût pourtant prendre son courage à deux mains et, comme un antibiotique détesté des enfants, il n'eut d'autre choix que d'avaler le liquide d'une traite sans se poser de questions. Les paupières closes, elles se plissèrent par le goût et la chaleur du médicament, mais Swan finit par en venir à bout. Il fut obligé de faire fi des bonnes moeurs, et tira la langue pour admettre que ce n'était en rien un délice. Il se libéra de la tasse et, d'un coup d'oeil dans la caravane, remarqua l'absence de sa meilleure amie et de son copain. Où sont-ils, s'inquiéta l'Asiatique, s'adressant directement à la matriarche. Cette dernière le rassura en faisant part d'un problème de chauffage qui devait être résolu par l'installation du générateur; la demoiselle avait donc décidé de porter son aide. L'étudiant de caste une n'eut pas réellement le temps de réfléchir qu'il fallut s'occuper de ses blessures, et il ne montra, là encore, aucune réserve. De plus en plus apaisé et docile, -suspectant la boisson d'être un puissant calmant naturel-, il laissa les compresses et cotons imbibés s'activer sur les blessures de son faciès. Cela piquait, mais il se força à éviter de bouger.

Pour apaiser les coups qu'avaient subi son estomac et ses côtes, il dut quitter son manteau et soulever difficilement les deux couches de vêtements. Une pâte étrange put être posée sur son tronc, -tronc qui fut recouvert de la dernière bande de la valise de soins. Blanc comme un linge fraîchement lavé, il ne sut quand il s'évanouit de fatigue. Son corps s'était rapidement affaissé sur la pseudo-couchette sans inquiéter les deux femmes, et elles s'occupèrent des dernières blessures superficielles avant de porter une couverture sur son corps chaud, mais non fiévreux.