Il aura fallu attendre trois longues années. Une éternité. Trois longues années pour que le plan qu’il a passé presque toute sa vie à préparer puisse enfin se mettre en place. Personne n’est venu les arrêter cette fois. Personne ne sait rien. Il n’y a plus qu’à attendre. Malgré le danger, les craintes que quelque chose tourne mal, que tout tombe à l’eau, Tom est plutôt excité. L’adrénaline coule à flot dans son sang et le rend à la fois nerveux et impatient. Avec quelques membres du groupe, ils se réunissent près du centre pour voir le rendu. Ce n’est pas tant un besoin malsain de voir leurs actes faire souffrir des innocents, mais… Le besoin de savoir, de contrôler jusqu’à la dernière seconde. Pour s’assurer que tout ira bien, cette fois. Le bâtiment qu’ils ont choisi est assez loin pour qu’ils ne risquent que quelques secousses, sans plus. Ils y sont entrés aux alentours de dix-huit heures, deux heures avant l’explosion. Ils ne sont que trois, les autres doivent se tenir le plus loin possible des lieux s’ils sont assez malins. Ça n’a pas été une mince affaire d’atteindre le toit sans attirer l’attention, mais ils ont réussi. Ils boivent des bières en attendant que l’heure approche, pour passer le temps, pour calmer les battements de leurs coeurs.

Il est dix-neuf heures, quelque chose comme ça, quand le téléphone de Tom vibre dans la poche de son jeans. Il le sort sans réfléchir et se surprend même à sourire quand il constate qu’il a reçu un message d’Hannah. Un ou deux messages enjoués sont échangés sans autre arrière-pensée et l’alcool joue peut-être un peu sur l’humeur assez légère de Tom quand il parle à la jeune femme. Elle lui plait vraiment, cette fille. Tellement, en fait, qu’une panique sourde lui déchire les entrailles quand, au moment de prendre congé dans son dernier message, elle l’informe qu’elle doit retourner travailler. Il a eu le temps de faire des recherches depuis leur première rencontre et, surtout, de confirmer ce qu’il craignait : elle travaille pour ce gouvernement qu’il essaye de détruire. Il n’a pourtant jamais envisagé qu’elle puisse être sur place ce soir. Après dix-neuf heures… Ce n’était pas une option dans sa tête, allez savoir pourquoi. Et maintenant, c’est trop tard. Il le sait, il a participé à la mise en place de ce plan, connaît chaque détail avec soin. Même quand il martèle son téléphone portable en suppliant Hannah de lui répondre, il sait que c’est impossible.

Il ne sait pas trop ce qui lui prend, finalement. Il sait aussi qu’il n’a plus que cinquante minutes pour se rendre jusqu’à la Maison Blanche et emmener Hannah aussi loin que possible. Il sait, surtout, que c’est impossible qu’il y parvienne. Ça ne l’arrête pas. Après trois messages désespérés, il ne cherche pas plus loin et c’est au pas de course qu’il quitte l’immeuble et se lance comme un détraqué à la poursuite de cet espoir d’ores et déjà déçu. Cinquante minutes. Exactement le temps qu’il lui faut pour venir en courant de son point d’observation jusqu’à Lafayette Square. Il est à peine entré quand la bombe explose, assez loin pour ne pas subir trop de dégâts, seulement une chute douloureuse, quelques débris qui volent dans sa direction. Depuis sa position au sol, il constate d’un air absent : tout s’est déroulé exactement comme ils l’espéraient. C’est la panique dans D.C ce soir, mais tout à coup, le mot semble faible. Il y a bien une centaine de gens dans le petit jardin au moment de l’explosion, un déferlement de hurlements suit la détonation. Tant bien que mal, Tom se remet debout, ignorant la douleur dans sa jambe et essaye de se frayer un chemin au milieu du chaos. Il ne sait même pas si Hannah est quelque part dans les décombres ou si elle a réussi à atteindre la Maison Blanche avant qu’il ne soit trop tard. Il avance vers le bâtiment, en tout cas, difficilement. C’est comme ça qu’il la trouve. Par hasard. Allongée sur le sol au milieu du chaos. Quand il se penche sur elle, il entend au loin la deuxième bombe qui explose dans les locaux de DoubleThink. Ça ne fait que dix minutes et pourtant, il a l’impression qu’une éternité vient de passer. “Hannah ? Hannah !” Inlassablement, il répète son nom alors qu’il essaye de la réveiller, prend son pouls, cherche des blessures. Il ne peut pas la laisser mourir, mais ça… Il aurait peut-être dû y penser avant.