Même s’il comprend l’idée, James déteste ces quelques jours de congé qu’on l’a forcé à prendre après l’attentat. Il ne se sent même pas si traumatisé que ça, honnêtement. Bien sûr que c’était affreux, on ne peut pas dire le contraire, mais c’est aussi l’un des plus beaux jours de sa vie… S’il n’avait pas été présent ce soir-là, les choses ne se seraient pas arrangées entre Marvin et lui. Il ne regrette pas. Par contre, il déteste tourner en rond dans son appartement depuis trois jours. N’avoir rien à faire ou presque. Des heures et des heures seul avec ses pensées, tantôt sur son petit nuage, tantôt accablé de craintes diverses et variées. Il essaye de ne pas passer son temps à envoyer des messages à Marvin, de peur que le professeur ne finisse par regretter qu’ils soient de nouveau ensemble. Tous les gens qu’il connaît travaillent ou ne veulent pas lui parler - comme sa mère, par exemple. Il n'est occupé que le soir, quand Cameron rentre de l'école.

Ça le rend dingue, alors il doit redoubler de créativité pour s’occuper. Tout à l’heure, il est sorti courir pour la première fois depuis des siècles (des semaines), maintenant sorti de la douche, il s’est installé dans son salon et lit un livre qu’Eden a laissé là en partant. Pas le truc le plus passionnant de sa vie, une histoire à l’eau de rose qui ne lui plaisait pas vraiment au départ, mais… Ce qui est incroyable avec l’ennui, c’est qu’on peut se prendre de passion pour tout et n’importe quoi. Et on ne va pas se mentir, là tout de suite, James est complètement envoûté par l’histoire. Au point qu’il sursaute carrément quand on sonne à sa porte.

Il n’attend personne et hésite brièvement à ignorer tout simplement son visiteur, mais recevoir quelqu’un c’est une façon de s’occuper aussi, pas vrai ? Il ne regarde même pas par le judas avant d’ouvrir la porte. Ça lui fait donc un drôle d’effet de se retrouver nez-à-nez avec la dernière personne qu’il s’attendait à trouver là. “Maman ?” Le mot lui échappe, ce n’est pas vraiment une question. Et avant qu’Elizabeth ne puisse dire quoi que ce soit, James se jette presque sur elle pour la prendre dans ses bras. Elle est probablement venue pour le maudire ou le déshériter ou Dieu sait quoi, mais honnêtement ça lui est bien égal à cet instant. Elle est venue jusque là, c’est tout ce qu’il voit.

Ne voulant pas forcer sa chance, il se force quand même à la libérer après quelques secondes, mais ne parvient pas à effacer le sourire qui étire ses lèvres. “Entre.” invite-t-il en s’éloignant pour la laisser passer. L’angoisse monte à ce moment-là. Il a presque peur de ce qu’elle va dire, car elle est bien venue pour dire quelque chose, n’est-ce pas ? Il n’a pas envie de la perdre pour de bon. D’un autre côté, il a cru aussi que Marvin revenait à lui pour rompre et… Peut-être que cette fois encore, c’est une bonne nouvelle qui s’annonce. Le seul moyen de le savoir, c’est d’aller de l’avant. “Est-ce que tu veux boire quelque chose ?” demande-t-il en retournant au salon. Il a beau essayer, difficile de contrôler sa nervosité. “Je suis heureux de te voir. Tu m’as manqué.” souffle-t-il, timidement.

La soirée du 7 octobre avait été particulièrement compliquée pour Elizabeth. Déjà parce qu’au moment où l’alarme c’était enclenchée, Xander se trouvé à l’extérieur Dieu sait ou, revenant sans aucun doute de son club de discussion des anciens temps. Et pour la première fois de sa vie, et dès que son mari serait revenu en sécurité dans l’appartement, la mère de famille envisagée très sérieusement de le supplier de ne plus y retourner. Mais bien sûr, c’était l’inquiétude de le savoir dans la nature et peut-être pas dans un lieu sûr, qui la faisait réagir si vivement.

Ensuite, et surtout elle avait été inquiète pour ses enfants, oubliant les querelles, les non-dits et toutes ces choses négatives qui peuvent gangrener une famille. Cherchant bien sûr à les joindre, chacun d’eux, inlassablement quand même bien elle ne cessait d’obtenir toujours le même message, l’informant que tous les canaux de communication sont bloqués. Heureusement, un poids sur son cœur lui fut enlevé quand Alexander revient à la maison, le souffle court, mais en entier, lui expliquant ce qu’il se passer à l’extérieur au passage. Faisant à nouveau refleurir l’angoisse dans son cœur, qui atteignit son paroxysme à vingt heures. Jamais Ô grand jamais, Eliza n’avait eu à vivre pareille horreur, au point que même la prière n’avait su l’aider. Passant son temps à arpenter en long en large et en travers l’appartement, à chercher du réconfort aux prés de son compagnon, ou à se ronger les sangs en essayant de joindre ses enfants.

Trois jours étaient passés depuis cet événement terrible, la vie reprenait doucement son cours, même s’il était bien difficile de faire comme avant. Washington DC était meurtri, et la mère de famille se demandait par moments, comment le gouvernement avait pu laisser une telle chose se produire. Mais aujourd’hui ce n’est pas la question, car aujourd’hui elle va aller à la rencontre de James. Si les communications sont plus au moins revenues, elle n’a pas encore réussi à avoir des nouvelles de ses enfants, tant le trafic est intense. Alors comme elle en a assez de tourner en rond chez elle et de continuer de se faire du mouron, Mrs Garrison prend les choses en mains et se rend d’abord chez son benjamin. Elle sonne donc à la porte une fois devant chez lui et quand son fils ouvre la porte, il semble surpris de la voir.

C’est vrai qu’il peut avoir de quoi, surtout après leur dernière rencontre, mais James reste son enfant quoi qu’il fasse. Alors quand il la prend dans ses bras, elle ne le repousse pas, bien au contraire, elle le serre contre elle heureuse de le savoir en un seul morceau. Mettant une fois de plus leurs problèmes de côté, pour le moment, et entre quand il l’y invite.

— Je veux bien un thé merci, souffle Eliza en déposant soigneusement son manteau sur une chaise.

La brune jette un œil à l’intérieur de l’appartement, qui semble ne pas avoir bougé depuis sa dernière visite, s’attendant presque à voir arriver Eden avec son sourire doux. Puis elle se rappelle que la jeune femme est partie. Étrange cette soudaine sensiblerie, sans doute que l’affaire de l’attentat l’a rendue un peu à fleur de peau.

— Je suis aussi heureuse de te voir James, répond-elle finalement. Tu ne t’imagines pas à quel point, je me suis inquiétée… Mais ça me rassure de voir que tu vas bien.

Eliza s’installe sur le sofa avant de reprendre.

— As-tu eu des nouvelles de Julianna ou de Jessie ? En trois jours, je n’ai pas réussi à les joindre, le réseau est complétement saturé. Ton père a aussi essayé de son côté, mais sans plus de succès que moi.

Soupir.

— Comment tu vas ? Tout s’est bien passé pour toi quand… Enfin, quand l’alerte a été donnée ?

Peut-être que ça ne vient que de lui, mais James sent la tension peser sur ses épaules alors qu’il accompagne sa mère jusqu’au salon. Il a attendu qu’elle accepte de le revoir pendant ce qui lui a semblé une éternité. En fait, il n’arrive pas à se souvenir avoir jamais passé autant de temps sans elle avant qu’il n’ait l’idée stupide de faire son coming-out. Il regrette de lui en avoir parlé, presque autant que ça le soulage qu’elle sache enfin. Qu’il puisse enfin être lui-même, après bientôt trente-et-un ans sur cette Terre. En ce moment, c’est plus les regrets qui l’emportent et quand Elizabeth accepte de boire un thé, le jeune homme est ravi de l’occasion qui lui est offerte de prendre ses distances. Il offre un grand sourire à la femme et disparaît dans la cuisine. Enfin, disparaître est un bien grand mot puisque la cuisine est ouverte, mais la distance relative entre eux lui permet de respirer un peu mieux. Devoir s’activer pour préparer le thé aussi, ça lui donne une excuse pour penser à autre chose qu’au fait qu’ils ne se sont pas parlés depuis des semaines et qu’il mort de peur à l’idée qu’elle ne veuille plus jamais l’appeler son fils. Il manque de casser une tasse quand, tout à coup, Elizabeth admet qu’elle est heureuse de le revoir. Il repose la tasse qui vient de voir sa vie défiler devant ses yeux et se tourne vers la brune, bien à l’abri à l’autre bout de la pièce. Il est presque déçu quand il comprend qu’elle parle de l’incident de la bombe, mais ne fait aucune référence à leur dernière conversation. D’un autre côté, elle a eu peur pour lui et elle est là… C’est bien la preuve qu’elle l’aime toujours, non ?

“J’ai parlé avec eux par SMS. Ils vont bien. On va tous bien.” souffle-t-il à sa mère qui s’inquiète pour ses enfants. Et ça ne devrait pas le rendre heureux, mais il sourit plus largement que jamais, simplement parce que… Parce qu’elle est toujours sa mère, malgré tout, toujours la femme qu’il aime le plus au monde, qu’il arrive à voir telle qu’elle est réellement, contrairement à son frère et sa soeur. “Jessie était chez lui, loin de toute cette cohue et Julianna… Elle va bien.” Quant à lui… Il ne sait toujours pas tellement comment réagir à toute cette soirée, un peu trop pleine d’émotions. Il a l’impression que tout va bien, il est tellement heureux d’avoir retrouvé Marvin que c’est tout ce à quoi il pense ces jours-ci. “J’étais au Ministère quand c’est arrivé, mais… J’étais à l’abri, je n’ai jamais été vraiment en danger.” ment-il, peu désireux de repenser trop longtemps à cet événement. Ce qui compte, c’est qu’ils soient tous en vie, le reste n’a pas d’importance.

Il laisse le silence s’installer bien malgré lui, occupé à repenser à cette soirée et pas seulement aux bons moments, et revient quelques minutes plus tard avec deux tasses brûlantes qu’il pose sur la table basse. Un moment, il reste à regarder le fond de sa tasse en osant à peine respirer, mais il sait qu’il ne pourra pas échapper à la conversation très longtemps. Alors, il inspire un grand coup, prend son courage à deux mains et relève les yeux sur sa mère. “Merci d’être venue.” souffle-t-il. “Je sais que tout ça est difficile pour toi. Et j’en suis sincèrement désolé.” Il a envie d’en parler, c’est évident, mais il ne veut pas la forcer et à moins de ne répéter inlassablement combien il est désolé et combien il l’aime, il ne sait même pas trop quoi dire. Alors il la regarde tout simplement, plein d’espoir, en attendant qu’elle dise quelque chose, qu’elle accepte d’aborder le sujet elle-même.

Thé proposé, thé accepté. James file à la cuisine préparer tout ça, pendant qu’Eliza jette un rapide coup d’œil à l’appartement de son fils, avant de tourner son regard vers le jeune homme. Lui disant qu’elle est heureuse qu’il aille bien, déclaration des plus sincère, mais qui semble avoir troublé son fils qui a manqué de laisser échapper une tasse. Chose qui la surprend un peu sur le coup, c’est vrai que leur relation a évolué depuis…Depuis la révélation de son enfant et qu’ils ont pris leurs distances. De son fait à elle, puisque c’est la mère de famille qui a demandé à son benjamin un peu de temps, et d’espace pour la laisser réfléchir à tout ça. Mais ça ne change rien au fait qu’il reste la chair de sa chair. Et comme l’avait si bien fait remarquer Xander le soir de la visite de leur fils, s’ils veulent garder James auprès d’eux, ils vont devoir faire avec, que ça leur plaise ou non.

Enfin, pour le moment, son garçon n’a pas encore remis le sujet sur le tapis, alors elle profite de cette accalmie pour s’asseoir et prendre des nouvelles de Julianna et Jessie. Elle est donc rassurée de savoir qu’ils vont tous bien, mais la brune le sera encore plus quand elle les aura vu en chair et en os. Pour sa fille, ça ne devrait pas poser théoriquement de problème, mais pour son petit dernier, elle n’est pas bien sûr qu’il veuille la revoir. Peut-être devrait-elle tenter une première approche par message et si jamais il ne veut vraiment pas qu’ils se rencontrent, elle s’assura au moins que tout va vraiment bien. Pas qu’elle ne fait pas confiance à James sur ce point, mais disons qu’elle a le besoin presque viscéral de tout de même le vérifier par elle-même.

— C’est une bonne chose s’ils étaient tous les deux loin de toute cette folie…

Enfin, Mrs Garrison à tout de même bien noté la petite hésitation au sujet de sa sœur, lui faisant se demander s’il ne lui cacherait pas quelque chose. À moins que son ainée ait été blessée et qu’il essaye de la préserver… De toute façon, elle en aura le cœur net quand elle ira voir Julianna et si elle découvre qu’elle ne va pas si bien que ça, elle se promet de leur remonter les brettelle. L’une pour ne pas l’avoir prévenue de la situation, et l’autre pour avoir minimisé la situation.

Elizabeth secoue doucement la tête, puis reporte son attention sur son fils, quand James lui explique qu’il était au ministère de l'Intérieur durant l’attaque. Encore une fois, il y a de l’incertitude dans sa voix, ce qui fait froncer les sourcils de la brune.

— James, tu es sûr que tout s’est bien passé là-bas ? demande-t-elle tout de même. Si tu veux me raconter, il ne faut pas hésiter. Parfois, ça peut faire du bien de juste parler, quand bien même cela n’arrange pas tout.

Elle sait de quoi elle parle quand elle dit ça. Discuter avec Xander lui a fait du bien, même si James aime toujours les personnes du même sexe que lui. Et parfois, il lui arrive d’en reparler de temps en temps avec son mari, parce que ça l’aide tout simplement à réfléchir ou a ce qu’elle soit moins angoissée. Le silence entre la mère et le fils s’installe, puis James retourne à la cuisine pour récupérer deux tasses brûlantes, que la brune s’empresse de prendre entre ses mains froides pour les réchauffer. Après quelques gorgées du liquide brûlant, son benjamin reprend la parole et Eliza fait sans doute bien de reposer sa tasse. Parce qu’avec ses mots, elle sent bien qu’il souhaite reparler de leur dernière grosse discussion. Ça ne l’enchante pas spécialement, mais elle savait qu’en venant ici, il y avait de forte chance pour qu’elle ne puisse pas y couper.

— Je… Commence-t-elle sans savoir vraiment comment aborder le sujet.

Elle regarde ses mains, puis ses yeux dérivent vers le sol et se braque sur un sac en tissu, qu’il y a prés de son sac à main. Se rappelant qu’elle a quelque chose à donner à James.

— Avant que nous discutions du… Du sujet, j’aimerais te donner tes cadeaux d’anniversaire, avec un peu d’avance…

La brune farfouille dans son sac et en extrait deux paquets, l’un et une cravate et l’autre une montre, gravée à l’arrière du cadran, avec la date de naissance de son fils.

— Joyeux anniversaire Jamie !

Il n’a jamais vraiment dit que son frère et sa soeur étaient tous les deux loin de la cohue le soir de l’attentat, alors il ne devrait pas se sentir coupable que ce soit exactement ce que sa mère comprend, n’est-ce pas ? C’est pourtant bien ce qu’il ressent quand Elizabeth semble s’apaiser d’entendre la bonne nouvelle. Il est soulagé que Cameron soit à l’école et qu’il ne puisse pas débarquer soudainement dans le salon pour réduire à néant toutes les tentatives de James de rassurer sa mère. Quant à sa propre expérience de cette soirée, il rêverait de pouvoir lui en parler, mais… C’est impossible tant qu’il ne sait pas avec certitude qu’elle accepte ce qu’il est. Alors, tant bien que mal, James essaye de ramener cette question au centre de la conversation. Il y va lentement, timidement même, tant il a peur d’entendre tout l’inverse de ce qu’il espère. Elizabeth est peut-être venue jusqu’à lui, mais ça ne veut certainement pas dire qu’elle lui pardonne entièrement ou qu’elle est prête à accepter l’idée que son fils l’a déçue à son tour. Malheureusement, elle repousse encore un peu le moment en essayant de détourner son attention avec des cadeaux d’anniversaire. Pinçant les lèvres pour cacher sa déception, James prend sur lui de lui laisser encore un peu de temps. Il force un sourire en récupérant les deux paquets qu’il déballe nerveusement. Un genre de douleur le frappe en pleine poitrine quand il se retrouve avec une cravate et une montre sur les genoux. Elles sont magnifiques, exactement son style, mais… ça lui semble presque trop. Tant qu’il y a ce malaise entre eux, il ne sait pas s’il doit interpréter ça en bien ou en mal. Ça le rend dingue. Malgré tout, il inspecte les deux objets un instant puis les pose délicatement sur la table basse avant de se tourner vers sa mère qu’il enlace. “Merci, Maman. C’est très beau, tu n’aurais pas dû.” Il l’embrasse sur la joue avant de retrouver sa place.

Et de nouveau, ce silence gênant prend toute la place. Il faut qu’il trouve un moyen de régler ça, ça devient urgent, presque vital. Il lui a laissé du temps, des semaines entières. Maintenant, il a besoin de savoir, il a besoin qu’elle reprenne sa place dans sa vie ou qu’elle lui dise clairement que c’est terminé pour qu’il puisse commencer à faire son deuil. “Maman…” reprend-t-il donc après quelques secondes insoutenables. “Écoute, je suis désolé, je sais que tu préférerais ne pas en parler, mais… J’ai vraiment besoin qu’on règle ça, je t’en prie.” Il ne sait plus comment s’y prendre, comment amener le sujet subtilement, alors tant pis. “J’aurais préféré que ça aille mieux entre nous avant de t’en parler, mais… J’ai rencontré quelqu’un. Ça fait plusieurs mois qu’on est ensemble, à vrai dire, et c’est plutôt sérieux. Si je te dis tout ça, c’est parce que… Il se passe tellement de choses importantes dans ma vie et j’ai besoin de savoir si tu en fais toujours partie ou non. C’est la première fois que je suis vraiment heureux depuis des années, Maman… La seule chose qui ne va pas, c’est que je ne peux pas partager tout ça avec toi. Je ne peux plus et je ne veux plus te mentir, mais j’ai besoin de toi.”

Il n’y a rien de mal à vouloir partager sa vie avec elle, n’est-ce pas ? Après tout, c’est Elizabeth qui lui a appris que rien ne comptait plus que la famille. Pendant longtemps, il a cru que ça voulait dire qu’il devait se cacher pour la rendre heureuse et fière. Maintenant, il comprend cet enseignement autrement. Se montrer honnête a souvent été difficile et douloureux pour James, mais tout va tellement mieux pour lui depuis qu’il le fait quand même… Réparer sa relation avec sa mère est réellement la seule et unique ombre à son bonheur actuellement.

Quand elle offre ses cadeaux d’anniversaire à son fils, l’effet n’est pas vraiment celui escompté. Eliza pensait lui faire plaisir, mais elle voit bien qu’il déballe les présents avec nervosité. Sans doute que James aurait préféré discuter de leur situation plutôt que de recevoir une montre et une cravate, sans doute qu’au fond, c’est également une façon bien maladroite de retarder ladite discussion. La mère de famille en prend conscience alors que le jeune homme termine d’ouvrir les cadeaux, soigneusement emballés. Mais si elle a emprunté un certain chemin, celui étant de l’acceptation, quand bien même il lui est difficile de l’arpenter sans peur et sans reproche. La femme ne va hélas pas consentir si facilement à l’idée que son enfant aime les hommes, on ne peut pas changer du genre au lendemain. C’est un travail de longue haleine. Elle ne veut en aucun cas perdre James, mais James doit comprendre également qu’elle avoir besoin de temps.

Son fils observe les deux cadeaux, un peu trop vite à son goût, puis les poses sur la table avec soin, avant de se lever pour venir la remercier. Une étreinte et un baiser plus tard, il est de retour sur le canapé, et le silence avec. Bien, elle n’a maintenant plus de raison de ne pas se jeter à l’eau, ils vont devoir crever un peu l’abcès, même si ça ne l’enchante pas et qu’elle a un peu peur de la façon dont la conversation va tourner. Mais son benjamin prend la parole, lui coupant ainsi l’herbe sous le pied. Et ce qu’il lui dit la laisse coite, encore plus coite que lorsqu’il lui a annoncé son homosexualité. Il a donc déjà rencontré quelqu’un ? Un autre homme du coup ? Forcément, vu qu’il apprécie les gens du même sexe. Eliza blêmit un peu. D’accord, suivre le chemin de l’acceptation, c’est une chose, mais ça, ça en est une autre.

La brune se tortille quelques instants sur le canapé, prenant toute la mesure de ce que cela implique. Mon Dieu, son garçon semble particulièrement prompt à lui faire traverser multiples épreuves. Mais elle va y arriver, pour James, pour sa famille et pour elle.

— D’accord, souffle-t-elle finalement. James s’il te plaît, chaque chose en son temps veux-tu ?

Oui d’abord franchir l’étape numéro un et on verra après pour les autres. Mrs Garrison se lève et vient s’asseoir prés du jeune homme, elle prend l’une de ses mains dans la sienne, et plonge ses yeux dans les siens. Il parait qu’ils sont le reflet de l’âme et quand elle observe ceux de James, elle le voit comme toujours de la même façon.

— Je suis heureuse de savoir que tu es heureux Jamie, que… Que tu es bien avec cette personne et bien sûr que je veux toujours faire partie de ta vie. Quoi que vous fassiez vous êtes et resterais toujours mes enfants et je vous aime. Mais j’ai reçu une certaine éducation et j’ai ma propre vision de la vie, comme tu as ta propre vision de celle-ci. Et cette vision de la vie, je ne peux pas la changer comme ça du jour au lendemain, il y a des choses qui prennent du temps, et celle-ci en fait partie…

La mère de famille serre la main de son fils dans la sienne, cherchant les mots justes, elle ne veut pas blesser d’avantages James.

— Ton père et moi nous ne voulons pas te perdre, voir Julianna et Jessie s’éloigner nous a été compliqué, quoi qu’ils puissent s’imaginer. Ton père et moi avons donc pris le chemin pour t’accepter dans ton entièreté, même si ça nous est difficile, nous allons faire l’effort. Mais il faut absolument que tu comprennes que ça ne va pas se faire du jour au lendemain, que voir l’homosexualité sous un autre jour ne va pas se faire en un claquement de doigt. Car cela ébranle également ma foi et tu sais que la religion et Dieu a une part très importante dans ma vie.

Eliza marque une nouvelle pause avant de rependre.

— Allons-y petit pas par petit pas. C’est très contradictoire, je veux vraiment voir les choses autrement, mais ça va être difficile. Est-ce que tu comprends ?

C’est un grand pas qu’elle vient de faire aujourd’hui, ça reste confus pour elle, et ça risque de le rester encore un moment. Mais elle espère que James comprendra sa position, qu’il comprendra qu’elle n’est pas fermée et surtout, elle espère qu’il comprendra avant tout qu’elle l’aime.

Alors même que les mots lui échappent, James sait que c’est une erreur. Il est frustré et impatient, tellement malheureux de vivre toutes ces choses sans que sa mère n’en fasse partie, mais… Elle a déjà du mal à accepter l’idée qu’il soit gay, comment pourrait-elle prendre celle que n’est plus seulement un concept abstrait, mais une réalité ? Qu’il partage sa vie, son lit, avec un autre homme ? Son coeur bat la chamade alors que la vérité est dévoilée et qu’il n’a plus aucun contrôle dessus. Il est soulagé qu’Elizabeth ne s’enferme pas dans le silence, cette fois, soulagé qu’elle ne parte pas non plus ou ne se mette pas à hurler. Ça ne veut pas dire qu’il prend très bien sa réponse, cela dit. Elle veut du temps, toujours plus de temps et qu’est-ce qu’il est censé faire d’ici là, lui ? “Bien sûr.” souffle-t-il malgré tout. Parce qu’il comprend, c’est vrai. Il lui a fallu quinze ans pour accepter ce qu’il est. Il comprend que ce soit dur pour elle, mais il ne peut pas lui donner quinze ans clairement. “Je sais que c’est très difficile, je t’assure. Dieu compte pour moi aussi, Maman. Je ne veux pas m’éloigner, ni de Lui, ni de notre famille. Je continue d’aller à l’église toutes les semaines, je… Rien n’a changé, pas vraiment. Hormis le fait que maintenant… Je n’ai plus le sentiment d’être un monstre.” Et ça lui a demandé tellement de travail, de pouvoir se regarder dans un miroir. De pouvoir vivre avec lui-même. Il veut en profiter maintenant, pas passer encore des années entières à devoir s’excuser de ce qu’il ressent, de ce que le Seigneur a fait de lui.

Leur foi, c’est ce qu’ils ont en commun depuis toujours. James n’a jamais manqué à ses devoirs envers Dieu avant récemment. Il est le plus pieux des enfants d’Elizabeth, ça n’a jamais fait aucun doute. “J’ai trouvé cette église… Ils… Tu sais, ils acceptent les gens comme moi. Sans eux, je ne crois pas que j’aurais pu m’en sortir. Est-ce qu’on pourrait y aller ensemble, un de ces jours ? Tu pourrais discuter avec le Pasteur, me donner ton avis.” Il n’a jamais eu envie de quitter leur paroisse, mais… Avait-il seulement le choix ? Rester assis chaque semaine, à écouter les sermons de l’homme qui, quinze ans durant, l’a torturé avec ses pensées… Il ne veut pas forcer Elizabeth, mais il a besoin de quelque chose pour qu’ils se retrouvent. La religion est peut-être la solution. Il l’espère, en tout cas. “Tu n’es pas obligée de décider maintenant, bien sûr.” précise-t-il quand même. Du temps. Elle veut du temps et il n’est pas sûr d’en avoir encore à offrir.

“Est-ce que… Si tu as des questions, des choses dont tu veux discuter à ce sujet, qui pourraient t'aider à mieux comprendre ce qui se passe… Je peux essayer d’y répondre.” Il a surtout peur qu’elle n’ait aucune question du tout, à vrai dire. Parce que si elle ne lui demande rien, si elle ne veut rien comprendre… Est-ce qu’elle pourra vraiment lui pardonner un jour ? Il est prêt à lui dire tout ce qu’elle veut savoir. N’importe quoi. Mais s’il n’y a rien, alors qu’est-ce qu’ils font ?