La simple idée de la soirée qui l’attend prend déjà la tête à James alors qu’il est toujours tranquillement installé à son bureau. Là, tout de suite, il n’est pas capable d’imaginer une situation pire que celle qui l’attend : se retrouver enfermé dans un bureau avec Colin et Louis, à devoir faire le bilan du travail effectué par le jeune homme alors que sa période d’essai touche à sa fin. Il a bien envie de croire que Louis ne va pas profiter de l’occasion pour révéler son petit secret au Ministre, mais difficile de faire confiance au jeune homme dans ce cas particulier. Tandis que Louis, lui, aura la chance de voir une toute nouvelle facette de James en la présence de Colin. Injuste, vraiment.

Pas étonnant, donc, que l’homme lâche un soupir désespéré quand on frappe à sa porte quelques minutes plus tard et qu’un rapide coup d’oeil à sa montre laisse deviner qui se trouve derrière. Il invite Louis à entrer, ses lèvres déjà pincées avant que l’employé ne passe la tête dans son bureau. “Très bien, allons-y.” dit-il seulement, le ton neutre qu’il espérait employer se transformant finalement en quelque chose de légèrement plus sec. Tant pis, il aura tout le loisir d’être cordial quand ils seront là-haut. Sans perdre de temps, James suit donc le jeune homme dans les couloirs et dans l’ascenseur, dans un silence de mort, jusqu’au bureau de Colin où il frappe quelques coups à la porte.

Il entre le premier quand le Ministre les y invite et doit puiser loin dans ses réserves pour s’assurer d’un ton cordial. “Bonsoir, Monsieur le Ministre.” Honnêtement, ça lui fait drôle de se montrer aussi professionnel avec Colin après avoir vu l’homme dans son salon pendant des semaines avant qu’Anna ne quitte la ville. Il préférait presque l’époque où son petit crush sur le Ministre l’empêchait de rester dans la même pièce que lui plus de trois secondes sans bégayer. Bref, fuyant clairement le regard de Colin, James s’installe sur l’une des chaises face à son bureau et attend que Louis prenne l’autre pour se lancer dans le vif du sujet. Il n’a aucune intention de rentrer chez lui avant qu’un gardien ne l’expulse du bâtiment, mais ça ne veut pas dire qu’il compte faire durer ce petit tête-à-tête désagréable. “Je ne crois pas que nous en aurons pour très longtemps, je n’ai pas grand chose à dire au sujet de Louis. Il fait son travail avec zèle, semble bien intégré dans l’équipe. J'imagine qu'il n'y a aucune raison de ne pas le garder parmi nous.” S’il ne peut rien dire à son patron, James ne se gêne pas pour lancer un regard sans équivoque à son employé, particulièrement quand il est question du zèle qu’il met à faire son travail - surtout quand on ne le lui demande pas. Il rêverait de pouvoir dire quelque chose de négatif qui ferait renvoyer le jeune homme, mais il espère malgré tout qu’en partant sur un bilan positif, Louis tienne sa langue pour le remercier.

James ne se souvient pas avoir déjà vu Louis aussi calme et timide. Il prend un malin plaisir à voir son employé dans cet état, même s’il est très mal placé pour le juger quand on sait qu’il lui a fallu des années pour pouvoir se tenir devant le Ministre de l’Intérieur sans se mettre à rougir comme une pucelle. Ça, c’est un détail que Louis ne peut pas savoir, donc le chef d’équipe profite allègrement de ce bon moment en retenant difficilement un sourire de lui décrocher la mâchoire. Il est pratiquement au firmament quand, après avoir écouté son petit speech, Colin décide de se mêler de la conversation. Non seulement le Ministre l’appelle Monsieur Garrison, mais en plus, il fout une raclée monumentale à Louis. Avec des mots seulement, ok, mais c’est dur pour James de se retenir de ne pas sauter de joie. Incapable de retenir son sourire, cette fois, James laisse Louis se dépatouiller un peu avec son problème avant d’intervenir. “Je vous assure, monsieur, que Louis est un très bon élément pour notre équipe. Il a juste besoin d’un peu plus de temps pour trouver ses marques et comprendre exactement ce qu’on attend de lui sur tous les niveaux.” A sa plus grande surprise, James constate qu’il pourrait passer la soirée entière à faire des sous-entendus de ce genre sans jamais se lasser.

Hélas, il n’aura pas cette chance, car à peine a-t-il fermé la bouche qu’on frappe à la porte du bureau. Un sursaut de surprise le fait se redresser sur sa chaise, mais il ne bouge pas avant d’entendre son nom dans la bouche du nouveau venu. Le fait que quelqu’un vienne le chercher dans le bureau du Ministre l’agace plus que de raison, alors qu’il se persuade déjà qu’on a besoin de lui pour une souris débranchée ou une connerie du genre. Malheureusement, il ne peut pas refuser de faire son travail, n’est-ce pas ? Retenant un soupir, il se retourne vers Colin. “Monsieur le Ministre.” souffle-t-il en lui faisant un signe de tête. “Excusez-moi, je reviens dès que possible.” Il se lève sans rien ajouter, jetant seulement un petit regard plein de hargne à Louis, un sourire en coin collé aux lèvres. Il regretterait presque de ne pas assister à la suite de leur entretien, mais d’un autre côté si les choses ne tournent pas en la faveur de Louis ce soir, on ne pourra pas l’accuser d’en être responsable s’il n’est pas là. Il espère juste que Louis ne va pas profiter de son absence pour balancer ses petits secrets, mais vu comme Colin l’a traité jusque là, James ne s’inquiète pas trop pour ça.