James se tient devant la porte de l’appartement de ses parents depuis cinq bonnes minutes et il n’a toujours fait aucun geste pour entrer. Il sait qu’Elizabeth est à l’intérieur, qu’elle attend sa visite d’un moment à l’autre, qu’ils ne seront que tous les deux. Le moment est venu. Ses amis savent, son frère et sa sœur aussi. Sa femme ne donne toujours pas signe de vie. Marvin… Marvin connaît toute la vérité à son sujet, bien que ce soit un autre problème. Elizabeth et Xander sont les deux derniers à ne toujours pas savoir et James ne trouve plus aucune excuse pour repousser le moment plus longtemps. La panique lui fait dire qu’il aurait mieux fait d’en parler d’abord à son père, avec qui les chances sont bien meilleures que tout se passe bien, mais… Il a trop peur que sa mère ne lui pardonne jamais si elle découvre qu’il lui a parlé en dernier. Déjà qu’il ne croit pas tellement à ses chances qu’elle veuille encore lui parler après aujourd’hui, autant ne pas lui donner encore plus de raisons de lui en vouloir…

Il doit lui parler aujourd’hui. C’est décidé et repousser le moment plus longtemps ne rendra pas les choses plus faciles, au contraire. Alors, après une profonde inspiration, le jeune homme se décide enfin. Il ouvre la porte sans frapper, tellement habitué à venir ici comme s’il y vivait encore et entre sans y être invité. Tout naturellement, il se dirige vers la cuisine et retrouve sa mère sur la terrasse, occupée à faire Dieu sait quoi. Ce n’est pas l’important, de toute façon. James s’approche sur le bord de la porte-fenêtre, proche mais sans sortir vraiment pour autant. “Maman ?” appelle-t-il doucement. Son cœur manque un battement quand Elizabeth se tourne vers lui et lui offre l’un de ces grands sourires qu’elle a toujours pour lui. Il va lui briser le cœur dans quelques minutes, il le sait et ça lui fait tellement mal d’imaginer qu’elle ne le regardera plus jamais comme ça…

Ça lui fait tellement de mal, à vrai dire, qu’avant de réaliser vraiment, James a traversé les quelques pas qui le séparent encore de sa mère et glissé ses bras autour d’elle pour la serrer contre lui. Ce n’est pas tellement qu’ils ne se font jamais de câlins, mais c’est assez rare malgré tout et souvent le signe que quelque chose de grave ou d’important vient de se produire. La dernière fois qu’Elizabeth l’a serré contre elle, il venait de lui annoncer la disparition d’Eden. La fois d’avant remonte sûrement au jour de son mariage, bientôt trois ans en arrière. “Je suis content de te voir.” souffle-t-il quand il s’éloigne et croise le regard interrogatif de sa mère. Ça lui fait mal aussi de voir comme c’est devenu facile de lui mentir. Au moins, dans le cas présent, ils savent tous les deux qu’il ment. “Je vais faire du thé, tu en veux ?” demande-t-il en croisant ses mains dans son dos pour qu’Elizabeth ne les voit pas trembler. Il est le fils aîné, alors autant dire que ce n’est pas non plus dans ses habitudes de prendre les devants sur ce genre de chose et qu’il se laisse généralement servir. Tout sera tellement différent aujourd’hui que ces petits détails ne l’inquiètent même pas vraiment.

“Assieds-toi,” ordonne-t-il gentiment, “je m’occupe de tout. On parle dès que le thé est prêt, d’accord ?” Dans un autre élan de bizarrerie, il l’embrasse sur le front avant de retourner dans la cuisine pour lui échapper. Quand il revient avec le service à thé posé en équlibre sur un plateau, quelques minutes plus tard, ça lui demande un courage surhumain pour ne pas le laisser tomber sur le sol. Il le pose au centre de la table et s'assoit sur la chaise la plus proche de celle de sa mère, prend l’une de ses mains dans les siennes et regarde vers le sol, le plus loin possible de ses yeux. Il doit lui dire, il le sait. Ce qu’il ne sait pas, en revanche, c’est par où commencer.
Aenean.

James doit venir lui rendre visite aujourd’hui et Elizabeth a l’impression que cela fait un moment qu’elle n’a pas vu son fils. La dernière fois, c’était pour lui annoncer que sa femme, Eden, avait disparu comme ça du jour au lendemain. La brune secoue la tête de gauche à droite en repensant à cette bien triste histoire, comment peut-on décider de disparaître du jour au lendemain ? Et surtout comment peut-on briser le cœur de son fils de cette façon. Eliza était bien sûr au courant des difficultés d’Eden et James, mais elle ne pensait pas que lesdits soucis causerait la disparition pur et simple de la jeune femme. Elle a d’ailleurs beaucoup prié pour le retour de sa belle-fille, et que les choses rentrent dans l’ordre pour le couple. Mais il semble que Dieu soit pour le moment sourd à ses appels, alors elle va prier tout simplement plus fort pour eux. Oui, c’est la meilleure chose à faire.

Elizabeth jette un dernier coup d’œil au salon maintenant impeccable, puis va faire un dernier tour à la cuisine, qui est tout aussi rutilant que le reste de la maison. Ou presque, car elle remarque un livre posé en équilibre précaire juste au-dessus du réfrigérateur. Xander, même quand son mari n’est pas là, il trouve toujours le moyen de faire traîner ses livres un peu partout dans l’appartement. Le prenant avec précaution, elle sait à quel point, il tient à sa si précieuse collection, Elizabeth va le ranger dans la bibliothèque. Voilà ! Maintenant, tout est vraiment ordre. Il n’y a plus qu’à attendre James désormais.

Attrapant un second livre, cette fois lui appartenant, mais offert par son mari. La brune rejoint la terrasse pour commencer à le feuilleter, chose qu’elle n’avait pu faire jusqu’à lors à cause du travail. Il fait beau aujourd’hui et le soleil sur sa peau est bien agréable, c’est donc avec une certaine bonne humeur qu’elle s’installe et commence à lire cet ouvrage traitant de jardinage. Voilà un moment qu’elle pensent à embellir la terrasse, mais comme elle aime joindre l’utile à l’agréable, pourquoi ne pas faire pousser en plus des plantes et des fleurs, quelques légumes ? Plongée dans ses réflexions, Elizabeth sursaute légèrement quand elle entend la voix de son fils, puis se tourne vers lui avec un grand sourire, heureuse de le voir.

Eliza se redresse après avoir fermé son livre, mais n’a pas le temps de faire un pas vers son benjamin, qu’il vient la serrer dans ses bras. Chose tout de même assez surprenante, ils ne sont pas très câlins dans la famille, montrant plutôt leur affection de bien diverses manières. Alors, la mère de James perd un peu de son sourire, se demandant si quelque chose ne va pas dans la vie de son fils. Si tel est le cas, le sort s’acharne vraiment sur son pauvre garçon.

— Je suis également heureuse de te voir James, répond-elle tout de même.

Elle pose ensuite un regard interrogateur sur le jeune homme, lui demandant silencieusement s’il se passe quelque chose. Mais voilà qu’il lui propose du thé, ça aussi ce n’est pas très habituel. En général, c’est elle qui prend ce genre de chose en main, c’est quelque chose de tellement ancrée en elle, après autant d’année que c’est aussi naturel que de respirer. Néanmoins, elle se contente simplement de hocher la tête pour le thé, sans doute qu’il a quelque chose à lui annoncer. Elizabeth souhaite simplement que cela soit de bon augure. Alors encore une fois, quand James lui demande de s’asseoir et que c’est lui qui gère tout, elle hoche la tête et reprend place sur sa chaise, après un baiser de son fils sur son front. Eliza est de plus en plus perplexe par l’attitude de son fils, et elle doit bien dire qu’elle appréhende maintenant cette discussion.

Son benjamin, finit par revenir plateau en main, et la brune remarque bien celui-ci trembler légèrement plus que nécessaire. Silencieusement, elle l’observe déposer le tout au milieu de la table, puis s’asseoir prés d’elle avant de prendre l’une de ses mains dans les siennes. L’appréhension grandis un peu plus dans son cœur de maman, bien qu’elle n’en montre rien, elle se demande encore quelle catastrophe il va lui annoncer.

— James ?

Quittant la main de son fils, elle vient la glisser contre la joue, l’obligeant ainsi à la regarder.

— Dis moi ce qu’il se passe…

Il sait bien que son comportement est trop bizarre pour qu’Elizabeth ne se doute de rien, mais c’est plus fort que lui. James est né nerveux… Alors dans un moment comme celui-là… C’est un peu étrange, d’entrer dans une pièce quand on est le seul à savoir que ce sera la dernière fois. Sauf s’il se trompe bien sûr, mais de vieux échos de disputes entre Jessie et leur mère lui font dire qu’il n’est pas loin du compte. Il regarde tout avec un oeil nouveau, y compris - et surtout - le visage de sa mère et elle ne se doute de rien. Pas encore. Alors qu’importe les petites bizarreries, n’est-ce pas ? Ce sont les dernières secondes, la dernière fois qu’il pourra tenir sa main, voir son sourire. “Ce n’est rien de grave.” promet-il quand sa mère s’inquiète de savoir ce qui lui arrive. Il note, presque froidement : encore un mensonge à ajouter à la longue liste de ceux qu’il raconte depuis des mois, des années. Avec de la chance, ce sera peut-être le dernier. “Il faut que je te parle de quelque chose d’important.” reprend-t-il après quelques secondes à ne rien faire de plus que la regarder. Il a réfléchi à la façon de s’y prendre pendant des semaines, étudié toutes ces petites brochures idiotes qu’on lui a donné à l’église sur comment faire son coming-out à ses parents… Il y avait de bons conseils à l’intérieur, ou du moins il le croyait jusqu’à maintenant. Une fois mis devant le fait accompli, les mots sont bien plus difficiles à trouver et tous les conseils lui échappent comme de l’eau glisserait entre ses doigts. Il n’existe aucune bonne façon de dire à sa mère ce qu’elle ne veut surtout pas entendre. Il se souvient juste de la liste : être patient, à l’écoute, ne pas parler de Marvin. C’est à propos de lui, à propos d’elle, pas des autres. Pas pour l’instant.

Le problème, c’est de trouver les bons mots pour commencer. Il ne les connaît pas. “Très bien, écoute… Ça ne va pas être une conversation très agréable, ni pour toi ni pour moi. Alors, je vais seulement aller droit au but, d’accord ? Donne-moi juste une chance de m’expliquer avant de répondre, c’est tout ce que je veux.” Son regard suppliant reste plongé dans le sien un instant avant qu’il ne ferme les yeux et prenne une grande inspiration. Il ne peut plus reculer maintenant et, étrangement, il n’en a pas envie. Quand il rouvre les yeux, ses épaules retombent de quelques millimètres et il lâche la main d’Elizabeth, posant les siennes sur ses genoux sous la table. Au moins, ça épargne à sa mère de devoir le repousser elle-même. “Maman, je suis gay.” C’est la première fois qu’il le dit en étant sobre et c’est toujours aussi difficile qu’étrange. Dans le silence qui suit, il peut sentir les mots peser dans l’air, s’accrocher à leurs peaux comme de la sueur. C’est désagréable, ça lui donne la nausée. Et en même temps, il est libre. Pour la première fois depuis quinze ans, il est vraiment libre. Un poids dont il avait oublié jusqu’à l’existence vient de s’envoler, loin de ses épaules. Il est là, maintenant, dans le regard d’Elizabeth posé sur lui. James ne pensait pas avoir la force de le soutenir et pourtant, il le fait sans réfléchir. Il la regarde et il ne pleure pas, ne flanche pas.

“Je sais que ce n’est pas ce que tu veux entendre et je veux bien accepter d’entendre tout ce que tu as à me dire ou de partir si c’est ce que tu veux, mais avant je t’en prie, laisse-moi finir.” Il regrette d’avoir dit ça comme ça aussitôt, mais c’est trop tard. Le laisser finir… à croire qu’il pourrait annoncer quelque chose de pire encore. En fait, il pourrait, mais ce n’est pas prévu pour le moment. “J’avais quatorze ans la première fois que j’ai vraiment réalisé, mais je crois que je l’ai toujours su quelque part et je crois que je n’étais pas le seul.” Les mots qu’il a répété pendant des jours, alors qu’ils manquaient cruellement quelques secondes plus tôt, reviennent tout à coup. Ça ne changera rien, dans le fond James en a bien conscience, mais il profite du choc pour les déballer quand même. “Je me suis précipité à l’église à le seconde où j’ai compris et après ça, j’ai prié chaque matin et chaque soir, tous les jours de ma vie pendant toutes ces années.” dit-il, la voix basse, l’air presque essoufflé. “J’ai demandé pardon au Seigneur, je me suis confessé chaque semaine, j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour redevenir normal, pour rester sur le droit chemin… Mais ce n’est jamais parti et je crois… Je crois que c’est seulement ce que je suis. Et ça ne change rien, je suis toujours la même personne, ça a toujours été là, c’est toujours moi.” Il a envie de reprendre la main de sa mère, mais serre ses doigts sur ses genoux à la place. Elle n’est probablement pas prête pour ça, si elle l’est de nouveau un jour. Au moins, pour la première fois depuis bien longtemps, il peut la regarder dans les yeux sans lui mentir.

« Ce n’est rien de grave ». Elle a beaucoup de mal à y croire Elizabeth, tant le comportement de son fils lui semble être inhabituel. L’étreinte, le fait qu’il prépare le thé, sa main dans la sienne, des choses sommes tout anodines pour la plupart des familles, mais pas pour celle des Garrison. Donc oui, c’est peut-être stupide, sans doute qu’elle se fait du souci pour un rien, mais au fond, elle sait très bien que ce n’est pas juste rien de grave. Surtout quand James ajoute qu’il doit lui parler de quelque chose d’important, la faisant légèrement froncer les sourcils. Elle aimerait bien se dire que, si ça se trouve ça va être une bonne nouvelle, mais plus son ainé la regarde semblant chercher ses mots, plus elle en doute fortement. Elle reste pourtant impassible Eliza, ne montrant pas vraiment d’émotion, attendant simplement que James daigne enfin lui dire ce qu’il se passe. Alors même si extérieurement elle semble vraiment très calme, intérieurement, c’est tout autre, avec son cœur qui a l’air d’être parti dans une samba endiablée.

Finalement, son fils ouvre à nouveau la bouche pour lui dire que ça ne va pas être une conversation agréable, autant pour lui que pour elle. Annihilant au passage le faible espoir qu’elle avait encore, que ce soit une bonne nouvelle. Mais au moins est-elle fixée sur ce point-là, pour autant ça ne l’aide pas à se détendre au contraire. James, essaye-t-il de lui faire faire une crise cardiaque ? Néanmoins, elle hoche simplement la tête, prête à écouter ce qu’il veut lui dire. Elle l’observe simplement, fermer les yeux, inspirer une grande goulée d’air frais avant de lâcher sa main et la le verdict tombe. Elle entend ce qu’il lui dit, mais ça ne semble pas vouloir atteindre son cerveau, comme si une barrière invisible refusée que ces quatre petits mots s’impriment sous son crâne.

Si lui semble soudain libéré d’un poids, elle a le sentiment d’être soudain emprisonnée dans un étau de glace qui lui comprime tout, sa chair, son esprit, son âme et son cœur. Elizabeth ne dit rien, se contentant de cligner des yeux alors que James continue de parler, mais ses mots coulent sur elle comme de l'eau sur un rocher, sans qu’elle n’y comprenne grand-chose. Ses pensées butant encore et encore ce qu’il vient de lui dire, cette phrase qui doucement commence à s’immiscer dans les interstices de ses pensées. « Maman, je suis gay. » A-t-elle fait quelque chose de mal dans sa vie ? « Maman, je suis gay. » N’a-t-elle pas assez prié le seigneur ? « Maman, je suis gay. » Ne lui a-t-elle pas assez rendu grâce « Maman, je suis gay. » N’est-elle pas une assez bonne chrétienne ? « Maman, je suis gay. » Peut-être qu’elle a été une mauvaise mère pour ses enfants ? « Maman, je suis gay. » Peut-être aurait t’elle du aller à l’église plus souvent ? « Maman, je suis gay. » Peut-être n’a-t-elle pas assez fait de bonnes actions…

« Maman, je suis gay. »

James semble avoir fini de lui parler, il la regarde maintenant, attendant sans aucun doute une réaction de sa part. Mais là pour le coup il n’y a rien, pas de colère, de haine, de dégoût, de joie même. Non rien, si ce n’est de l’incompréhension. Sans doute que ça la percutera de pleins fouets plus tard, mais là elle se sent comme si elle était saoule alors qu’elle n’a jamais bu de sa vie. Mais elle suppose que la sensation serait la même non ?

— Pardon…finit-elle par dire avant de se redresser passablement hébétée.

Pardon à qui ? Au seigneur ? À son fils ? À elle-même ? Difficile à dire. Eliza quitte donc la terrasse, passe par la cuisine puis rejoins le salon ou elle s’assoit sur le canapé. Juste le temps de souffler, de reprendre ses esprits et d’essayer de comprendre, si tenté qu’il y ait quelque chose à comprendre là-dedans.

James s’attendait surtout à devoir affronter la colère de sa mère. Depuis des jours, il est hanté par le souvenir de nombreuses disputes entre Elizabeth et Jessie. Il se souvient des hommes que l’adolescent ramenait chez eux, de la colère dans les yeux de leur mère quand elle les voyait devant l’appartement ou tentant de prendre la fuite avant que la famille ne se réveille, et surtout des violents éclats de voix qui suivaient alors et s’éternisaient longtemps. Il se souvient des prières qu’il l’entendait murmurer dans sa chambre le soir, son oreille collée à la porte alors qu’il suppliait lui-même le Seigneur d'apaiser la souffrance de leur mère, suppliait pour ne jamais lui faire le même mal que son frère. Une autre de ses prières qui ne s’est jamais réalisée et il commençait à faire son deuil de ce fait, s’était soigneusement préparé à devenir une déception à son tour, à ne surtout pas réagir quand Elizabeth hurlerait contre lui. Sauf qu’elle ne dit rien du tout. Les secondes passent, s’étirent dans un long silence insupportable. Et James reste là, paralysé, à attendre qu’elle dise quelque chose.

Toute sa vie, il a craint la colère de Dieu et les terribles tortures qui l’attendraient lorsqu’il irait brûler en Enfer. Désormais, ce silence lui fait plus peur qu’aucune de ces visions n’a jamais réussi à le faire. Il n’entend plus rien que le sang qui bat dans ses tempes et son coeur qui cogne contre sa poitrine, visiblement désireux de s’en échapper. Il a envie de parler, de mettre fin à cet affreux supplice, de bouger, de toucher Elizabeth même, mais son corps refuse de lui obéir.

C’est Elizabeth la première qui brise finalement le silence et relance, d’un seul mot, le court du temps. James la regarde se lever, passe près de lui sans un regard et disparaître par la fenêtre de la terrasse. Pourquoi n’est-elle pas déjà en train de hurler ? De lui promettre les pires sévices et de lui dire quelle déception il est ? C’est incompréhensible, vraiment, mais il y a au moins un point positif à tout ça : il y voit une chance, infime peut-être, mais bien réelle, de conserver l’amour de sa mère. Sans compter que, sans le poids insoutenable de son regard posé sur lui, il parvient de nouveau à bouger. Et en quelques secondes à peine, il la rejoint au salon, vient se planter à quelques pas d’elle. “Maman ?” appelle-t-il, doucement, sa voix à peine audible tant il a peur qu’elle explose au moindre mot. “Maman… Dis-moi quelque chose, je t’en prie.”

Ces derniers mois, James a traversé plus d’épreuves qu’il ne s’en croyait capable. Et il faut croire que ça lui a appris quelque chose, car c’est sans peur qu’il finit par approcher pour s’agenouiller devant Elizabeth. Il prend ses deux mains dans les siennes avec la même assurance. Elle ne hurle pas. Ça ne veut peut-être pas dire grand chose, mais c’est plus que tout ce qu’il espérait pour l’instant. “Je te demande pardon.” souffle-t-il. “Je sais que c’est difficile à entendre, à accepter. Crois-moi, je le sais… Mais ça ne change rien, je te le promets. Et ce n’est pas ta faute.”

Il essaye, vraiment, de comprendre l’état de choc dans lequel elle doit se trouver, mais c’est difficile pour lui aussi. Si elle ne dit rien, comment peut-il la rassurer convenablement ? Il a besoin de son aide, désespérément. D’un signe quelconque qu’elle l’entend et surtout, qu’elle l’aime toujours. Ou au moins qu’elle est prête à l’admettre, car de ses enfants il est peut-être bien le seul à savoir qu’elle aime toujours Jessie, qu’elle aime chacun de ses enfants plus que tout au monde.

Il y a d’abord eu Jessie et son rejet de Dieu, puis la découverte de sa bisexualité. Parce que ramener des filles à la maison avant le mariage n’était semble-t-il pas suffisant, il a fallu qu’il passe ensuite aux jeunes hommes. Ensuite, c’est Julianna qui a commencé à s’éloigner d’eux quelques temps après son union, et encore plus après le décès de son mari. Empêchant la pauvre Eliza ainsi que son mari de pouvoir jouer pleinement leur rôle de grands-parents. Malgré le mal sans doute involontaire que ses enfants lui on fait par leurs décisions, Elizabeth a tout de même continué de prier pour leurs âmes, gardant l’espoir qu’ils reviennent sur le droit chemin et que tout finisse par s’apaiser. Hélas, rien n’a changé et rien ne s’est apaisé, ça s’est même plutôt aggravé selon elle. Alors oui, l’annonce que son fils vient de lui faire est un vrai coup de massue, qui la laisse complétement hébétée.

Certains diront que c’est sans doute stupide, mais James était un peu son dernier espoir, celui de l’image de l’enfant parfait qu’elle se faisait dans sa tête. Après tout et jusqu’à maintenant, son benjamin avait réussi à répondre à chaque attente que ses parents avaient placée en lui. Un bon fils, un bon-chrétien, un bon élève, un bon employé et enfin un bon mari. Il ne lui manquait plus que le rôle du bon père pour que tout soit vraiment parfait. Il est vrai que son garçon, c’était un peu éloigné d’elle dernièrement, mais la mère de famille avait mis ça sur le compte d’un souci de couple. Eden ayant du mal à tomber enceinte. Mais jamais ô grand jamais, Eliza n’aurait pu envisager que cela soit lié à un problème sur son orientation sexuelle. Elle était même à des millions d’années de cette idée.

Alors oui, c’est sans doute lâche, mais elle fuit dans le salon, parce qu’elle voit bien dans le regard de son fils qu’il attend une réaction, voir même une réponse. Cependant, elle n’a rien à lui dire, elle est complétement vide, encore et toujours emprunt par le choc de cette révélation. Mais James ne lui laisse pas le temps de reprendre son souffle, ou même un peu de ses esprits, qu’il est déjà prés d’elle. Sans doute inquiet de voir qu’elle ne réagit pas, alors que dans le passé elle c’était montré particulièrement virulente avec Jessie et ses fréquentations. Elizabeth le voit sans le voir, elle l’entend sans vraiment l’entendre. Ce n’est seulement qu’au moment ou il prend ses mains dans les siennes, que la mère de famille semble revenir un peu à la réalité, car la sidération elle est toujours bien présente. Son cerveau refusant de croire que telle est la vérité, que son fils adoré est homosexuel. Ce mot est comme une seconde gifle, et même s’il lui demande pardon, même s’il comprend bien que cela doit être difficile pour elle.

Elizabeth n’est pas prête à l’admettre, c’est trop tôt, elle est encore trop hébétée. Quand bien même le temps passe, rien ne garantis qu’elle accepte ça un jour, la mère de famille n’a déjà pas correctement assimilé la bisexualité de Jessie. Alors l’homosexualité de James, ça lui semble être un gouffre. Et surtout elle a peur pour l’âme de son enfant, c’est un péché qu’un homme en aime un autre, elle ne veut pas qu’il finisse en enfer.

— James, finit-elle par dire. S’il te plaît, laisse-moi…

Mme Garrison retire alors ses mains des siennes, il n’y a pas de violence ou même de dégoût dans ce geste. Elle a juste besoin de s’isoler, d’enfin pouvoir reprendre contenance et de laisser aller ses sentiments, dans le calme de son appartement et la pudeur de sa solitude.

— S’il te plaît, répète-t-elle en le regardant droit dans les yeux.

Finalement - une fois n’est pas coutume - James avait tort. Le silence d’Elizabeth ne signifie en rien qu’elle peut envisager de lui pardonner. Il ne doit pas y voir un quelconque signe qu’il reste une chance pour eux de se remettre de cette épreuve. La réalité est bien plus simple et plus douloureuse que ça : il n’existe plus. C’est en tout cas qu’il ressent quand, à l’issue d’une nouvelle tentative de lui arracher un mot, Elizabeth reste coincée dans son mutisme et retire ses mains de celles de son fils. Il n’y a aucune violence dans ce geste, mais c’est presque pire. Elle le fait comme si James n’était rien, un insecte sur sa peau, tout au plus agaçant, mais pas assez pour mériter son attention. Il se redresse sans ajouter un mot, son regard tourné vers le sol alors qu’il sent les larmes monter. Peut-être qu’il n’a pas appris grand chose, après tout. Il a oublié les pamphlets accumulés sur la table de chevet dans sa chambre, en tout cas, et tous les conseils plein de bon sens sur comment interpréter les réactions après une telle annonce, comment se comporter lui-même sans accabler un peu plus ses parents. À sa décharge, Elizabeth est la première à réagir comme ça. Même Julianna, dont il craignait l’opinion, a su lui montrer amour et soutien malgré le trouble évident qu’elle a ressenti sur le moment. Elizabeth, elle, se contente de prendre la fuite une seconde fois, laissant James en tête-à-tête avec son coeur brisé.

Il a envie de lui courir après, mais à quoi bon ? Insister ne lui donnera pas ce qu’il veut. Il commence même à se demander ce qu’il veut, à vrai dire. Au lieu d’insister, il se contente donc d’essuyer les larmes qui ont réussi à échapper à sa surveillance et, quand ses mains tremblent un peu, il retourne sur la terrasse pour débarrasser les restes du thé qu’ils ont à peine touché. Elizabeth ne réapparaît pas pour les vingt ou trente minutes qu’il faut à James pour finir le rangement et la vaisselle et surtout, pour retrouver pleinement son calme avant d’affronter l'extérieur. Il va frapper à la porte de sa chambre avant de partir, l’appelle une dernière fois et, en l’absence de réponse, se force tout bêtement à rentrer chez lui. Il n’abandonnera pas, certainement pas au premier échec, mais que peut-il faire de plus ce soir ? Camper devant sa chambre jusqu’à ce qu’elle soit obligée d’en sortir ? Elle a besoin de temps et il essaye de se convaincre qu’il peut survivre à quelques jours sans elle.


Il est tard quand Xander arrive à l’appartement, fait relativement habituel de sa part. Ce qui ne l’est pas, en revanche, c’est de trouver un coursier dont les bras sont encombrés d’un immense bouquet de fleurs devant sa porte. Ou d’entrer dans un foyer complètement vide, plongé dans le silence et l’obscurité, surtout à une heure pareille. Son premier réflexe est de filer à la cuisine, où il devrait trouver sa femme ou au moins une assiette qu’elle aurait laissé pour lui, mais là encore, il fait chou blanc. Il n’y a pas de vaisselle sale dans l’évier, aucun reste dans le four ou le frigo, aucun indice que son épouse ait même envisager de cuisiner aujourd’hui. C’est comme ça qu’il sait que quelque chose ne va pas. Même si elle avait dû s’absenter, Elizabeth aurait laissé quelque chose pour lui. Au moins un mot, à défaut d’un repas. Immédiatement, un grand malaise s’empare du professeur, comme un pressentiment : il sait que quelque chose s’est passé, quelque chose de grave. Il n’est pas tout à fait inquiet non plus.

Il le sera peut-être, plus tard, mais il reste avant tout un homme raisonnable et il faut un peu plus qu’une assiette vide pour le faire céder à la panique. Ses pas le mènent d’abord jusqu’à la salle de bain, vide elle aussi. Puis la chambre principale, où il trouve enfin sa femme, assise droite comme un i sur le bord du grand lit, dos à la porte. “Eliza ?” appelle-t-il, tout juste décontenancé. Il entre dans la pièce dans l’intention de la rejoindre, bien décidé à comprendre ce qui se passe ici. Tout était parfaitement normal quand il est parti ce matin. Quel genre de drame a bien pu changer l’ambiance habituellement si chaleureuse de leur foyer. “Quelqu’un a déposé ça pour toi.” indique-t-il, en même temps qu’il pose le bouquet sur le matelas à côté de sa femme et qu’il en arrache la petite carte agrafée au papier de soie qui entourent les tiges. Il ne demande pas l’autorisation, n’envisage même pas en avoir besoin. Quel genre de secret son épouse pourrait-elle avoir pour lui après toutes ces années ? “Elles viennent de James.” s’étonne-t-il, sourcils froncés, en tendant la carte à la brune qui n’a toujours pas bougé.

Est-ce qu’il a oublié son anniversaire ? Ça n’expliquerait pas qu’elle soit aussi… Silencieuse. Absente serait le mot juste. Car le silence colérique, elle le maîtrise aussi bien que n’importe quelle épouse habituée à être bafouée par son mari et c’est rarement aussi placide que ce qu’elle lui sert en ce moment. Non, ce qu’elle fait en ce moment est très différent, n’a aucune forme de ressemblance avec une seule de leurs disputes passées. Ce n’est pas l’oubli d’une date importante. “Eliza ? Qu’est-ce qui se passe ?” D’accord, cette fois peut-être que Xander commence à s’inquiéter. Rien ne tourne rond ici ce soir et sa femme encore moins que tout le reste.

James ne quitte pas tout de suite l’appartement familiale, après qu’Eliza lui ait demandée de la laisser seule. Les yeux dans le vague elle voir son fils, les épaules un peu basses, se diriger vers la terrasse, peut-être bien dans l’optique de débarrasser la table en fer forgé, du plateau contenant les tasses et la théière, qui sont restés inutilisés. « Bon garçon », se dit-elle souriant presque, avant de se rappeler ce qu’il lui a divulgué. Il y a un genre de mal aise qui s’insinue en elle, la mère de famille se redresse donc et va s’enfermer dans sa chambre pour tente de réfléchir. Mais encore une fois tout se mélange dans son esprit, s’en est même quelque chose d’étrange. Son fils reste un bon garçon dans sa tête, mais en même temps, la révélation de son homosexualité semble tenir cette image…Non, c’est autre chose, cependant, elle n’arrive pas à mettre le doigts dessus. Peut-être est-ce à cause du fait qu’Eliza c’est toujours fait une certaine image de lui, tout comme elle s’en était fait une de Julianna et Jessie, avant qu’ils ne la brise à leur tour. Peut-être est-ce également à cause du fait que son fils lui a menti toutes ses années.

Mais, vaux-t-il mieux un doux mensonge, ou une cruelle vérité ? Difficile de répondre. L’éducation stricte qu’elle a reçue et telle que, mentir n’a jamais été envisageable. Cependant, la brune n’a jamais pensé à la possibilité, qu’un homme ou une femme, ayant reçu le même type de pédagogie qu’elle et étant confronté à leur homosexualité, devront choisir entre l’un un l’autre. Mais le mensonge est aussi mal vu qu’une personne appréciant une autre du même sexe. Situation à vous en arracher les cheveux sur la tête. Une petite voix au fond d’elle lui souffle que, son petit garçon à dû être dans la même situation. Mais elle la repousse pour le moment et soupir.

James finit par partir au bout d’un moment, elle entend la porte claquer et enfin, Eliza peut se permettre de laisser couler quelques larmes, mais pas plus. Elle se lève et rejoins la salle de bain pour se débarbouiller le visage, puis retourne dans la chambre parentale, ou elle ouvre le petit tiroir de sa table de chevet et en déniche un chapelet qui a bien servis. Enfin elle se mets à genou, coude sur le lit et se met à prier, car elle sait que c’est la seule chose pour l’heure qui pourra l’apaiser. Une prière pour Alexander, une autre pour Julianna, encore une autre pour James, ainsi que pour Jessie. Puis tout un tas d’autres prières pour le reste de sa famille, ses amis, tous les gens qu’elle aime, ou même l’église dans laquelle elle se rend de façon régulière. Une fois toute cela achevé, la mère de famille se sent à nouveau vidé de toute substance, comme si prier avec force l’avait tout simplement vidé. Alors elle s’assoit sur le bord du lit et ferme les yeux, évitant de repenser à la journée écoulée, tout en sachant que les jours suivants vont être ardus

Elle ne sait pas trop l’heure qu’il est quand enfin Xander revient à l’appartement, le ciel est déjà bien assombri, c’est qu’il doit être déjà relativement tard. Son époux finit par la trouver assise dans la chambre, en même temps l’appartement n’est pas bien grand. Il lui parle, mais c’est à peine si saisi les mots qui coulent d’entre ses lèvres. Ce n’est seulement que quand il s’assoit prés d’elle et pose sa main sur la sienne, qu’Elizabeth reprend contact avec la réalité et que le monde semble soudain tourner à nouveau. Et qui dis reprendre contact avec la réalité, dit aussi se rappeler ce qu’il s’est passé il y a quelques heures.

— Eliza, dis-moi. Que se passe-t-il ?

La brune baisse quelques instants les yeux, avant de les reporter sur le visage de son mari.

— C’est James, souffle-t-elle simplement.

Xander hoche la tête, comme s’il venait de comprendre quelque chose, il tend alors le bras et montre un énorme bouquet à sa femme. Avant de lui tendre une carte, qu’elle examine les mains un peu tremblantes, le bouquet vient de son fils, comme s’il voulait lui demander pardon avec ses fleurs. Hélas, la situation est complexe, ce n’est même pas une histoire qu’il se fasse pardonner, oh non…

— Il s’est donc passé quelque chose avec notre fils ? reprend Xander avec douceur.

La brune hoche la tête, ses yeux lui piquent et les larmes menacent de déborder de ses yeux. Inspiration pour contenir le tout. Il faut qu’elle lui dise.

— Notre…James…Il est venu tout à l’heure m’annoncer quelque chose…

Elizabeth renifle, il est tellement rare qu’elle se mette dans des états pareils. Et elle à honte, tellement honte de ne pas pouvoir affronter cette situation avec force et bravoure. Les larmes dégringolent sans qu’elle ne puisse les retenir.

— Il aime les hommes.

Voila, la bombe est lâchée.

Ce ne sont pas les mots que Xander s’attendait à entendre. Il ne s’attendait à rien, à vrai dire, mais à ça encore moins qu’au reste. Doucement, son regard s’éloigne d’Elizabeth pour se poser dans le vide, tandis que l’information s’installe tranquillement, qu’il prend le temps de l’observer - de loin, d’abord, comme une chose mystérieuse dont il ne saurait pas encore si elle est dangereuse ou non. Il la reconnaît assez rapidement. “Oh.” souffle-t-il, à l’instant exact où la révélation faite par sa femme prend du sens. Ça explique qu’elle soit si bouleversée. C’est la première réflexion que se fait Xander. Il ne s’étonne pas d’apprendre cette information à propos de son fils, n’est pas révolté, dégoûté, choqué. Non, tout ce qu’il pense c’est : “oh, alors c’est pour ça qu’elle est complètement affolée”.

Il regarde de nouveau le bouquet de fleurs posé sur la table de chevet, puis le visage douloureux d’Eliza. Ça le désespère presque que James ait cru un seul instant qu’il calmerait l’ardeur de sa mère avec quelques fleurs… “J’en déduis que tu ne l’as pas très bien pris.” souligne-t-il, alors que c’est plutôt évident. Il contemple le vide face à lui un petit moment, tandis qu’il essaye de bien prendre la pleine mesure de la situation. Leur fils est homosexuel. Le formuler pleinement est étrange, certes, mais toujours pas aussi révoltant ou surprenant que ça ne le devrait. En fait, plus il y pense, moins Alexander trouve cette idée étrange. James a vécu avec eux jusqu’à ses 26 ans et il n’a jamais, jamais ramené une petite-amie à la maison. Il n’est jamais allé à une fête, n’a jamais demandé de l’argent pour emmener une fille au cinéma ou au restaurant, ou Dieu seul sait ce que les jeunes font ces temps-ci en lieu et place d’un rencard. Et la disparition de leur belle-fille, si précipitée et si mystérieuse. Pour être parfaitement honnête, Xander s’est souvent inquiété pour James, mais pas parce qu’il se comportait mal, non tout au contraire parce qu’il n’a jamais rien fait de répréhensible, même à l’adolescence. Vraiment, ça ne le surprend pas et il commence même à se dire qu’ils auraient dû le voir beaucoup plus tôt… ça semble tellement évident.

“Eliza…” reprend-t-il à voix basse. Il a du mal à croire que sa femme ne se soit jamais demandée si le problème n’était pas justement là. Bien sûr, James est un bon chrétien. Un trop bon chrétien. Le plus pieux de leurs enfants, le plus pieux de cette famille toute entière, probablement. “Est-ce que ça t’étonne vraiment ?” demande-t-il, essayant tant bien que mal de cacher sa perplexité. “James est un bon garçon, mais il a toujours été un peu… spécial.” Il tente de rester diplomate, mais c’est clairement un euphémisme. “Je ne suis pas sûr que ce soit vraiment… nouveau.” Ce n’est probablement pas très réconfortant non plus pour elle de s’entendre dire qu’elle a volontairement ignoré une telle chose pendant tout ce temps, mais il ne sait pas trop quoi lui dire. “Très bien, écoute… Oublions James un instant, d’accord ? Qu’est-ce que tu ressens ? Tu es en colère ? Déçue ? Choquée ? Dis-moi ce qui se passe dans ta tête. James a eu toute sa vie pour s’occuper de ça, pas toi. Alors on se préoccupe de toi pour l’instant et on s’occupera de lui plus tard.”

Quand bien même cela n’a pas était évident de le dire à son mari, étrangement Eliza se sent un tout petit mieux, à croire que partager ce poids avec quelqu’un a un effet quelque peu apaisant. Oh bien sûr, elle est toujours aussi perdue depuis la visite de James, ne sachant pas trop quoi en penser. Enfin, il y a tout de même des sentiments qui émergent après sa léthargie, toujours pas de dégoût ou de colère vis-à-vis de son fils. Mais de la peur et de la tristesse. De la peur, car les gens comme lui et malgré l’évolution de la société, restent tout de même des cibles et de la tristesse, car encore une fois, elle avait cette image de James. Image qui a envolé en éclat après sa révélation. Mais plus étrange encore que le coming-out de son benjamin, c’est l’attitude de Xander, comme s’il n’était pas étonné de cela. Il prend tout de même le temps de la réflexion, réfléchissant aucun doute à ce que sa femme vient de lui dire.

Ça a toujours étais comme ça de toute façon avec Alexander, il prend toujours les choses avec un certains détachements. Prenant le temps de peser le pour et le contre, avant d’émettre un avis, ou montrer une réaction quelconque. Contrairement à elle. Pas qu’Eliza a le sang chaud, mais disons qu’elle se laisse parfois emporter sur le moment, pour raisonner plus tard, en se disant que peut-être aurait-elle du réagir comme ceci, plutôt que comme cela. Le mari et la femme n’ont vraiment rien en commun quand on y regarde de plus près, mais c’est pour ça que marche, l’un apporte à l’autre ce qu’il n’a pas, ce qui finalement, à créer une certaine harmonie. Malgré des hauts et des bas, comme dans n’importe quel couple. Mais là n’est pas vraiment la question, et la mère de famille à presque un sourire, un peu moqueur, face à la réponse de son mari.

— Tu déduis très bien Xander, tu aurais dû faire enquêteur, pas professeur…

Vu son attitude, il est plus que claire qu’elle n’a pas très bien pris la nouvelle. Pas du genre à se laisser abattre d’habitude, mais cette fois-ci, on peut dire qu’elle a été mise KO. La brune pose ses coudes sur ses genoux, baissant la tête et glissant ses mains derrière la nuque en un geste de réconfort. Essayant de comprendre sa réaction, car avec Jessie elle, c’était mise en colère en découvrant sa bisexualité, avec Julianna elle a été déçue quand sa fille a pris ses distances. Mais la avec James, c’est un mélange de ces deux émotions et bien plus encore. Ce n’est à rien y comprendre.
Eliza tourne de nouveau la tête quand son mari prononce son nom. Peut-être que lui y comprend quelque chose, peut-être que lui pourra l’éclairer ? Elle l’écoute donc avec attention, mais sa question lui faire légèrement foncer les sourcils. Pourquoi devrait-elle en être étonnée ? La remarque suivante lui fait écarquiller les yeux. Comment ça un peu spécial ? Ça pourrait presque sonner comme une insulte, heureusement qu’il s’agit de Xander.

— Tu ne m’aides pas vraiment, soupir Mme Garrison. Ce n’est pas spécialement réconfortant non plus…

Elizabeth affiche donc une petite moue un brin réprobatrice, alors que son mari reprend de plus belle. Mais visiblement, il faut qu’elle se concentre sur elle et ses sentiments, pas forcément la chose la plus facile du monde, surtout en cet instant. Tournant la tête vers la fenêtre de la chambre à coucher, la mère de famille se perd quelques instants dans la contemplation du paysage urbain.

— Je… Je crois… Non, je suis sous le choc, finit-elle pas répondre après un certain laps de temps. Je me sens également perdu ne sachant pas quoi en penser et pas bien sûr de vouloir y penser. Co… Comme si je voulais rejeter ce moment, pas James, mais ce moment, cet instant où il m’a annoncé la chose…

La chose ? Comme une bête étrange, qu’elle regarde de loin, sans vraiment savoir comment l’approcher. Ce n’est pas son fils la bête étrange, mais plutôt son homosexualité. Car si elle a eu du mal à composer, encore maintenant, avec la sexualité de son petit dernier, imaginé alors pour l’ainé.

Il ne prend pas la pic de son épouse comme une blessure faite à son ego, se contente d’un petit sourire en l’entendant se moquer de lui. Il ne rétorque même pas, car il n’est pas question qu’ils se lancent dans un petit débat stérile maintenant, alors que Xander devine aisément que sa femme doit être complètement bouleversée, perdue et que s’il la laisse faire… Leur famille risque d’en pâtir plus qu’ils ne le voudraient, même si elle n’est pas forcément prête à l’admettre pour l’instant. Il a passé les trente dernières années de sa vie à voir son épouse et leur fils interagir et il sait qu’elle l’aime de tout son coeur, comme elle aime chacun de leurs enfants, mais que sa relation avec James est bien plus forte que celles qu’elle entretient avec Julianna et Jessie. Il fait toujours en sorte de ne pas trop se mêler de ce qui se passe entre elle et James, c’est une question de survie. Il a fait pareil quand ils ont dû gérer Jessie, n’intervenant que le strict minimum, dans l’espoir de calmer les ardeurs de sa femme avant qu’elle ne prenne une décision qu’elle risquait de regretter toute sa vie. De toute évidence, il a échoué à jouer les médiateurs entre Jessie et elle, mais à sa décharge leur benjamin n’a pas beaucoup aidé. Il a bien conscience qu’il ne peut pas laisser un remake de ce désastre se jouer avec James, même si leur cadet ne brûle pas du tout du même feu que son petit-frère, Eliza ne se remettra sans doute jamais de perdre son précieux garçon pour une mauvaise décision.

Il tente donc une approche en douceur, essayant tant bien que mal de faire réaliser à sa femme que cet aveu, aussi surprenant puisse-t-il être, ne tombe pas tout à fait de nul part. Il s’y prend mal, si l’on en croit la façon dont Eliza s’offusque presque, alors pinçant les lèvres, il cherche autre chose et tente finalement de se préoccuper de ce qu’elle ressent, elle. Là encore, rien de très surprenant ne ressort. Il serait plutôt étonné qu’Eliza prenne la nouvelle avec le sourire. Il serait tout aussi surpris qu’elle ferme la porte à James sans chercher plus loin. Il pose une main sur son bras et la caresse doucement, dans l’espoir de lui apporter un peu de réconfort. “Je doute qu’on puisse se permettre d’ignorer la question.” souffle-t-il, même s’il comprend bien comment elle peut en arriver à désirer ça. “Mais je crois qu’on peut apprendre à se faire à l’idée en douceur…” Si Xander est un chrétien plus que respectable, qui connaît les Saintes Ecritures par coeur, il est aussi un historien et, en dehors de ses convictions personnelles, il y a au moins une chose qu’il sait : ce que son fils est… ça existait déjà avant que le Christ arpente cette Terre. Ça fait partie de leur monde, d’autant plus maintenant qu’ils sont concernés de près et par deux de leurs enfants. Pour le bien de cette conversation Xander pense malgré tout qu’il vaut mieux éviter de remettre le sujet Jessie sur le tapis pour l’instant. Leur fils a plus à se reprocher du côté de son comportement que sur sa sexualité. James, d’un autre côté…

“Qu’est-ce qui pourrait t’aider à l’accepter ?” demande-t-il, sans douter tellement que ce soit ce dont il est question ici. Après tout, Elizabeth l’a dit elle-même, le problème n’est pas tellement James. “Je sais que ce sera difficile, mais si on veut garder James, j’ai bien peur qu’on soit obligé de l’accepter comme ça et tu viens de le dire toi-même, ce n’est pas lui que tu veux rejeter, seulement… ça.” Il n’est pas surpris, non, mais il doit bien admettre que c’est… quelque chose. Il n’est pas tellement fan de l’idée d’imaginer son fils avec un autre homme, pas de cette manière. Ça l'agace aussi que James leur fasse subir ça après la débâcle avec Jessie. D’un autre côté… “Je ne suis pas en train de dire que ça m’est égal ou que ça me fait plaisir, en fait, je ne crois pas que je comprenne vraiment comment ça a pu se produire… Est-ce que ça vient de quelque chose qu’on a fait ? Mais je me rends compte qu’il a dû garder ça pour lui très longtemps, qu’il a dû vivre avec ça alors qu’on traversait toute cette crise avec Jessie juste sous son nez… ça ne me surprend pas qu’il ait mis tant de temps à nous en parler. Et il a accepté d’épouser Eden. Il a fait l’effort d’être normal…” Ce n’était pas un tel choc au premier abord, mais plus il y pense, plus des questions envahissent l’esprit de Xander. Il reste pourtant confiant, qu’ensemble, ils parviennent à venir à bout de cette torture sans faire trop de dégâts.

Inspiration, Mrs Garrison, essaye pendants quelques instants de mettre ses émotions de côté. Pas si évident que ça, malgré ce que beaucoup s’imaginent à son propos. Si froide. Mais elle va faire l’effort.

Selon Xander, elle ne devrait pas être étonnée par la sexualité de leur benjamin, qu’il a toujours était spécial et que ce n’est pas vraiment nouveau. Il est vrai que son mari, a toujours vu les choses sous un autre angle qu’elle, aurait-il donc mis le doigt sur une chose qu’elle n’aurait pas su déceler chez le jeune homme ? Eliza se perd à nouveau dans ses pensées, tentant tant bien que mal, de se rappeler dans les attitudes de James, ou certains de ses mots. Quelques choses, n’importe quoi, qui aurait dû lui mettre la puce à l’oreille, mais elle ne voit que le bon garçon qu’il était… Enfin, il est toujours un bon garçon, quelque part elle le sait bien, mais disons que depuis l’annonce de son fils, ça lui est juste beaucoup plus compliqué de le percevoir comme tel. Même si elle aime chacun de ses enfants, malgré leurs erreurs.

La brune est sortie de ses pensées et de sa tentative, échouée, de faire le point sur le passé et les indices que leur fils aurait pu disséminer au cours de sa vie. Par la main d’Alexander qui se pose sur son bras et le caresse doucement, c’est plutôt les rares qu’ils aient des gestes tendres l’un envers l’autre. Pas qu’ils ne s’aiment, mais disons qu’ils le savent et n’ont pas forcément l’utilité de câliner trop souvent comme certains couples. Toujours est-il que pour cette fois et vu la situation, Elizabeth accepte ce geste d’affection, posant sa main sur celle de son mari, ayant vraiment besoin d’un soutien tant moral que physique.

Puis il reprend et elle hoche la tête, bien sûr qu’ils ne peuvent pas se permettre d’ignorer la question, c’est plus ou moins ce qu’ils ont fait avec Jessie. Résultat des courses, ils n’ont plus de contact avec leur cadet, seulement quelques nouvelles données par James. L’accepter en douceur est sans aucun doute autant une bonne idée qu’un bon début, mais comment faire ? L’idée l’effraye… Oui voilà, le fond du problème c’est que l’homosexualité lui fait peur, autant à cause de la religion qui ne l’accepte pas, que parce que c’est également quelque chose qu’elle ne connaît pas, ou peu.

— Ce qui pourrait m’aider ? répète-t-elle en passant sa main libre sur son visage. Je ne sais pas trop…

Il y a un grand point d’interrogation pour cette question. L’idéal ça aurait qu’elle l’accepte naturellement, elle ne doit pas être la seule mère qui en est passée par là. Mais demandé de l’aide à ce propos, c’est délicat, du moins pour le moment dans sa tête. Xander poursuit sa lancée, lui expliquant que s’ils veulent pouvoir continuer à avoir des rapports, disons cordiaux, ils vont devoir faire l’effort de l’accepter tel qu’il est. Oui, là-dessus, Eliza est aussi d’accord, bien que ça lui semble difficilement concevable. Peut-être avec du recul, pourquoi pas ? Va savoir ? Cette situation est à s’en arracher les cheveux sur la tête.

— Mais, même si ça ne te fait pas plaisir, que tu ne comprends pas ou que tu te demandes d’où ça peut provenir. Tu a l’air de plutôt bien encaisser la nouvelle, de l’accepter ? Comment arrives-tu as prendre le recul nécessaire, sans être aussi anéantis que je le suis ? Tu as toujours eu une vision assez différente de la mienne, j’aimerais juste comprendre le cheminement de ta pensée.

Peut-être que ça l’aiderait qui plus est, à mieux appréhender cette situation, via les explications de Xander. Mais elle est bien d’accord, James, même si elle a beaucoup de mal à se faire l’idée qu’il aime les hommes, a dû souffrir en silence de cette situation. Encore plus comme, l’a si bien fait remarquer son mari, avec les problèmes qu’il y a eu avec Jessie. Et son mariage avec Eden, mieux vaux éviter qu’elle y pense pour le moment, la mère de famille commence à sentir un puissant mal de tête poindre dans son crâne. Trop d’émotions en une seule journée.

— Je sais que nos soucis seront encore là demain, mais, si tu le veux bien, j’aimerais que nous laissions ça de côté, au moins pour ce soir et qu’on se détende. L’on aura tôt fait de reprendre cette histoire demain…

Mais avant, elle va envoyer un message à James, si elle était sous le choc, elle n’aime pas l’idée de la façon dont ils se sont séparés tout à l’heure.

Xander ne dirait pas qu’il prend la nouvelle très bien, mais… C’est compliqué. Il n’est pas sûr de pouvoir l’expliquer mieux à sa femme qu’il ne l’a déjà fait. Ça ne le surprend pas. Il n’irait pas jusqu’à dire que ça le rassure, mais ça répond à de nombreuses questions et inquiétudes qui flottent au sujet de James depuis des années. “L’accepter, c’est un bien grand mot…” admet-il à voix basse. “Je préférerais qu’il ne soit pas comme ça. Et je ne crois pas être prêt à… enfin, si on pouvait arranger ça, je ferais ce qu’il faut, mais ce n’est pas possible.” Cela dit, rien de tout ça n’explique réellement pourquoi il est si calme et vu comme Elizabeth a réagi quand il a osé pointer du doigt le fait que leur fils n’est pas tout à fait… comme les autres, il hésite à repartir sur ce terrain.

“J’ai toujours été assez préoccupé du fait qu’il soit si…” Il s’arrête avant de prononcer le moindre mot malheureux et cherche rapidement un autre angle d’attaque. “J’ai été un adolescent, moi aussi, Elizabeth. Je sais comment on est censé se comporter, ce à quoi on pense, à cette période de la vie d’un homme et James… Même Jessie a montré de l’intérêt pour les femmes et pour les questions charnelles. James était toujours seul, triste, mal dans sa peau…” Elle n’a pas pu passer à côté de tout ça, n’est-ce pas ? Leur petit garçon étrange, toujours à traîner dans les jupes de sa soeur, à jouer avec ses poupées et, plus tard, à prier presque frénétiquement. “J’ai l’impression de mieux comprendre tout ce qui m’a dérangé pendant toutes ces années.” conclue-t-il. Ce n’est qu’un faible réconfort, mais d’une certaine façon, ça lui enlève aussi de la culpabilité. Ce n’est pas sa faute à lui si son fils n’a jamais été un garçon normal, c’était déjà là, en lui depuis le départ. Ils n’ont pas fait ça.

Ça n’arrange pas tout, évidemment, mais c’est un début et quand Elizabeth propose qu’ils n’en parlent plus pour ce soir, Xander saute sur l’occasion. “Bien sûr. Tu veux manger quelque chose ?” Lui, il meurt de faim et avant même qu’elle ne réponde, il se lève, prêt à rejoindre la cuisine. “Je vais nous préparer un petit quelque chose, d’accord ?” Bien sûr, ce ne sera pas le même genre de festin qu’Elizabeth met sur la table en temps normal, mais à sa façon, Xander essaye de lui apporter du soutien. De s’occuper l’esprit aussi, car il a beau montrer un calme olympien, la révélation de James ne le laisse pas aussi indifférent que ça.