|	Don't look back in anger Mark & Astrid

— Ce n’est qu’en entrant dans la salle d’attente qu’Astrid fait le lien entre le Mark Kaczynski inscrit sur son planning et l’homme avec qui elle a brièvement discuté sur Perfect Love, quand elle reconnaît son visage au milieu des patients qui attendent pour voir leur médecin. Un instant alors qu’elle s’arrête sur le pas de la porte, elle se sent même un peu coupable d’avoir ramené un patient via l’application de rencontre, mais ça lui passe vite. Après tout, cet homme a réellement besoin d’aide et Astrid, quant à elle, a besoin de travailler pour nourrir son fils. Si l’hôpital n’essayait pas de lui mettre des bâtons dans les roues, elle n’aurait pas besoin de trouver des patients par elle-même.

Elle impose son habituel sourire doux et compréhensif sur ses lèvres alors qu’elle s’approche de son patient. “Mark ? Bonjour !” salut-elle chaleureusement. En ligne, l’homme n’est pas vraiment le genre de personne avec qui Astrid aurait eu envie de poursuivre, mais elle a bon espoir qu’en tant que patient, elle puisse réellement parvenir à quelque chose avec lui. “Allons-y, suivez-moi.” invite-t-elle, avant de lui tourner le dos pour le guider jusqu’à son bureau. Elle ouvre la porte et l’invite à entrer d’un geste du bras, tandis qu’elle patiente sur le pas le temps qu’il s’installe sur le canapé. Elle ferme la porte derrière elle et va s’asseoir face à lui. Tout est déjà prêt : son bloc-note sur ses genoux, son stylo, quelques informations de base sur le patient auxquelles elle rajoute rapidement un petit “PL” dans le coin de la feuille.

“Je suis contente que vous soyez réellement venu,” souffle-t-elle alors qu’elle lève les yeux sur l’homme, “J’espère qu’on pourra bien travailler ensemble.” C’est tout de même assez spécial, de se retrouver face à un patient qu’elle a d’abord rencontré dans le cadre de sa vie privée. Pour une fois, il sait des choses personnelles sur elle, lui aussi, même s’il n’a pas donné de réel signe d’intérêt quand ils discutaient sur l’application. Elle ne lui plaisait sans doute pas tant que ça et tant mieux, mais il n’en reste pas moins que s’il a lu un minimum son profil, il connaît plus de détails à son sujet qu’elle n’en sait sur lui. Ça déséquilibre la relation psy/patient et Astrid n’est pas très à l’aise avec ça. “Alors, est-ce que vous avez déjà vu des psychologues ou psychiatres auparavant ? J’ai cru comprendre que vous étiez déjà suivi dans cet hôpital, pouvez-vous me dire pourquoi ?”

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— La conversation ne démarre pas comme Astrid l’avait envisagé. Elle ne sait pas vraiment pourquoi elle s’attendait à ce que Mark soit beaucoup plus enclin à se confier qu’il ne l’est. Peut-être tout simplement parce qu’il en a tellement dévoilé quand ils discutaient sur l’application de rencontre. Ce n’est plus vraiment pareil maintenant qu’ils sont dans une autre dynamique et comme bien des patients avant lui, l’homme se montre très silencieux, dans l’attente du petit miracle qu’Astrid pourrait mettre en oeuvre pour le soigner. Elle sourit malgré tout, conserve l’air aussi neutre et sympathique que possible. C’est toujours compliqué d’aller voir un psy pour la première fois, elle ne peut pas jouer la surprise. “D’accord.” souffle-t-elle, l’air de rien, bien décidé à ne pas lui mettre la pression tout de suite. Ce ne serait pas la première fois qu’elle aurait droit à une séance particulièrement silencieuse.

“Vous n’êtes pas obligé de me parler de quoi que ce soit, on est là pour vous.” explique-t-elle avec douceur. “Mon rôle est de vous aider à mettre le doigt sur ce qui ne va pas et trouver des façons d’améliorer les choses, mais on peut y aller à votre rythme.” Même si elle ne se sent pas très à l’aise de lui faire payer des séances pendant lesquelles ils ne feront rien d’autre que regarder le temps passer, ce n’est pas sa décision après tout. Il est aussi fort probable qu’il ne veuille jamais revenir après ce premier essai.

“On peut peut-être commencer par parler de vous ?” propose-t-elle en retrouvant son sourire apaisant. Elle sait déjà qu’il n’est pas très doué pour se présenter sous son meilleur jour, mais ce n’est plus le but maintenant qu’ils sont là, bien au contraire. “D’où est-ce que vous venez, où aimeriez-vous aller, je ne sais pas ce qui est le plus simple pour vous, mais vous pouvez me dire tout ce qui vous passe par la tête ! Je sais que ça peut être compliqué compte tenu de la façon dont nous nous sommes rencontrés et je ne suis pas vraiment médecin, mais vous ne devez pas me voir autrement que comme une professionnelle qui est là pour vous aider à soigner les blessures qui vous empêchent d’aller de l’avant.”

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— Finalement, il aura suffit d’insister un peu pour que l’homme ne se décide à tout déballer et il n’a pas menti : il a vraiment eu une vie compliquée. Astrid n’est hélas pas tellement choquée, c’est le genre d’histoire qu’elle s’attend souvent à entendre quand elle reçoit en consultation des jeunes qui n’ont jamais rien connu d’autre que la violence et les horreurs de la Caste 3. C’est ce qu’elle veut à tout prix leur éviter. Mark n’est plus un enfant depuis longtemps, mais il n’est peut-être pas trop tard pour l’aider quand même. Autant qu’elle le peut, Astrid garde son sourire apaisant, son air calme et rassurant, alors qu’elle écoute le résumé que l’homme fait de sa vie. “Vous avez de quoi vous sentir mal, mais rien de tout cela n’est insurmontable.” assure-t-elle quand il a terminé. Ça demande seulement du travail, beaucoup de travail, mais elle ne veut pas commencer à le décourager tout de suite et se retient donc de le lui dire pour le moment.

“Cette femme, c’est à cause d’elle que vous avez peur d’aimer à nouveau ?” demande-t-elle, quand bien même la réponse semble assez évidente. “Vous savez que cette situation que vous avez vécu avec elle, c’est une histoire plutôt exceptionnelle. Il est très rare que les rencontres se fassent dans un contexte aussi violent. Il y a très peu de chances que vous souffriez de nouveau à ce point avec quelqu’un d’autre, même s’il est vrai que les histoires d’amour sont souvent douloureuses, ce n’est pas toujours à ce point.” Et heureusement, d’ailleurs, mais elle peut comprendre que ça reste une crainte aussi illogique et incohérente soit-elle. “Est-ce qu’il y a une autre raison ? Est-ce que vous arrivez à expliquer ce qui vous fait tellement peur dans l’idée de vous attacher à quelqu’un d’autre ? Que ce soit dans une relation amoureuse ou non, d’ailleurs.” Parce qu’à la façon dont il se présente au monde, elle doute que ce soit seulement un problème lié à ses relations amoureuses. Tout ça lui donne des idées, mais avant de proposer quoi que ce soit, elle attend d’en comprendre un peu plus sur cet homme bien particulier.

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— Peut-être Astrid vient-elle de franchir une limite. Mark lui a parlé avec assez d’aisance pour qu’elle ne se demande pas deux fois si elle fait bien de parler sans détours ou non. Mais quand il ne lui répond que très évasivement et lui demande finalement l’autorisation de disparaître quelques minutes, elle réalise qu’elle s’est peut-être montrée trop directe. “Bien sûr.” souffle-t-elle pourtant, en hochant doucement la tête. Elle le regarde passer la porte et attend de la voir se refermer dans son dos pour plonger le nez sur son bloc-notes, où elle griffonne quelques informations au sujet de l’homme. C’est difficile de le guider vers la bonne direction, mais elle finira bien par y arriver, non ?

Pour les quelques minutes qu’elle passe seule dans son bureau, Astrid essaye en tout cas de s’en convaincre. Dès que Mark revient, elle retrouve son sourire doux et attend tranquillement qu’il se réinstalle sur le canapé. “Vous vous sentez mieux ?” demande-t-elle poliment, probablement plus pour gagner un peu de temps qu’autre chose. Elle ne sait pas trop par où commencer, quoi lui dire pour déclencher chez lui le déclic qui lui manque pour reprendre sa vie en mains. “Alors…” souffle-t-elle quand même, tandis qu’elle regarde vaguement ses notes du coin de l’oeil. “Vous semblez avoir pas mal de projets pour l’avenir, malgré vos difficultés pour les mettre en place.” C’est une remarque qu’elle espère positive : il a beau avoir beaucoup de mal à avancer, il parvient encore à voir les choses avec un oeil optimiste et c’est très important.

“Je vous propose un petit exercice. Il peut être difficile, alors n’ayez pas peur de prendre un peu de temps pour réfléchir, on a encore une bonne demi-heure devant nous, d’accord ?” Son sourire s’agrandit légèrement pour l’encourager un peu, être positive elle aussi pour le mettre sur la bonne voie. “Pouvez-vous me parler de chacune de vos aspirations : retrouvez votre frère et votre soeur, rencontrer l’amour, sortir de la Caste 3, etc. Et pour chacun de ces projets, essayer de me dire comment vous pourriez y arriver. Même si ça vous semble impossible pour le moment, le but est seulement de proposer des pistes et de voir si c’est vraiment possible ou pas.” D’un geste de la main, elle l’invite à se lancer dans sa réflexion et son exposé.

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— Dans un sourire, Astrid écoute patiemment alors que Mark évoque les trois projets qui comptent le plus pour lui. Elle trouve assez ironique qu’il soit si difficile de sortir de la Caste 3 alors qu’il est si simple de dégringoler des Castes au sommet vers le fond du gouffre. Elle en est la preuve vivante, elle à qui la vie privilégiée en Caste 1 a été arrachée en l’espace d’une seule nuit. De tous ceux évoqués par Mark, c’est celui qui la met le plus mal à l’aise, celui sur lequel elle ne pourra exprimer son opinion sincèrement et sera plutôt forcée de mentir pour s’éviter encore plus de déconvenues. Celui qu’elle rêve de pouvoir repousser, alors que c’est le plus simple à mettre en place dans la liste de ce que veut Mark. “Votre frère et votre soeur, ils vivent encore au Nevada ?” demande-t-elle, curieuse. Du reste du monde, elle ne sait pas grand chose, mais la côte Ouest est réputée pour être devenue un désert presque inhabitable. “Si c’est le cas, ça risque effectivement d’être compliqué d’entrer en contact avec eux, mais s’ils sont dans les environs, je peux vous aider à réfléchir à ce que vous voudriez leur dire et comment vous y prendre.” propose-t-elle, surtout pour gagner quelques secondes de plus sur la suite.

Elle ne sait pas trop comment lui répondre au sujet de trouver l’amour, alors il ne reste plus qu’une solution… “Quant à gagner des Castes… Je suis moi-même en Caste 2, je peux vous dire qu’on y vit très bien. Ce n’est pas facile de gagner des points dans cette ville, mais c’est possible. Est-ce que vous utilisez Perfect Neighbour ?” C’est encore le moyen le plus simple de gagner des points, n’est-ce pas ? Quoi qu’on décide de faire avec cette application de malheur, elle fait toujours du bien à ceux qui veulent bien jouer son jeu. “Combien de points avez-vous pour le moment ?” Elle espère pour lui que l’écart n’est pas trop énorme, mais si ce n’est pas le cas, elle pourra le conseiller très facilement. Ça l’ennuie, à vrai dire, elle aimerait mieux ne pas avoir à encourager ses patients à faire ce genre de chose, à jouer le jeu de The Alternative, mais c’est tellement facile de se laisser tenter et après tout, tout le monde mérite de mener une vie à peu près décente. “Je ne peux pas vous promettre de finir sur l’île Ouest dans la semaine, mais rejoindre la classe moyenne est plutôt abordable pour n’importe qui, tout ce qu’il faut c’est signaler autant de gens que possible.” Elle marque une pause, se mord la lèvre et s’offre quelques secondes pour se détester de ce qu’elle vient de dire. “Bien sûr, je vous invite à vous montrer positif. C’est à vous de décider quel genre de signalement vous voulez faire, mais je pense qu’il est bien plus agréable d’encourager les comportements positifs et c’est souvent une très bonne façon de donner envie aux autres de vous signaler positivement aussi.” Elle ne peut pas l’empêcher d’utiliser cette application, mais elle espère au moins qu’elle arrivera à le convaincre de ne pas le faire de la mauvaise manière en devenant une personne détestable qui passe son temps à surveiller ses voisins. “Que pensez-vous de tout ça ?” demande-t-elle, pleine d’espoir.

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— C’est difficile de rester optimiste avec un interlocuteur qui ne l’est pas, mais c’est hélas le travail d’Astrid et elle ne peut y échapper. Hors de question pour elle de se lever pour secouer Mark par les épaules jusqu’à ce qu’il lâche enfin un sourire et croit en ses chances d’un avenir un peu plus radieux. Il essaye au moins, il a fait la démarche de venir la voir, il prend en compte ses conseils et c’est un très bon début. “On parlera de votre frère et de votre soeur plus tard, alors, si ça vous convient.” Pour l’heure, elle essaye surtout de garder la face tandis qu’elle conseille à l’homme de jouer le jeu du gouvernement pour obtenir ce qu’il veut. Elle se sent hypocrite et déteste ça, mais il n’y a rien d’autre que Mark puisse faire pour gagner des points. Et s’il n’en a que 40, il ne doit pas perdre de temps pour commencer. “Vous savez, 40 ce n’est pas si mal. Vous n’êtes pas dans le négatif, c’est déjà une excellente nouvelle.” Elle n’ose pas imaginer comme ce doit être difficile quand on tombe dans le négatif, de garder l’espoir de remonter un jour. Mais 40… C’est relativement proche de la frontière à atteindre. “Vous avez besoin de 80 points de plus pour passer en Caste 2 et la dernière mise à jour de l’application vous permet d’en gagner 4 à chaque signalement. Ça vous fait à peine 20 signalements pour changer de Caste, c’est plutôt simple, non ?”

Avant d’avoir réellement l’occasion de s’émerveiller plus longtemps de cette facilité, un drôle de son échappe à Mark et quand Astrid lève les yeux sur lui, il est plié en deux sur le canapé. Elle saute sur ses pieds par réflexe, inquiète de ce qui lui arrive. “Mark ?” appelle-t-elle en venant se pencher sur lui. “Est-ce que ça va ?” De toute évidence, non, il ne va pas bien, mais l'inquiétude la fait se parler sans trop réfléchir. Elle pose une main sur son épaule à peine une seconde avant de se détourner. “Je vais appeler un médecin, qu’on vienne s’occuper de vous.” informe-t-elle alors qu’elle se précipite déjà à son bureau pour décrocher le téléphone. La standardiste répond assez vite et Astrid lui hurle presque de faire venir un médecin dans son bureau de toute urgence. Après avoir raccroché, elle ne sait pas trop quoi faire et se tourne simplement vers l’homme qu’elle observe, soucieuse. “Le médecin sera là vite, tout ira bien, d’accord ?” lance-t-elle doucement. Elle ne sait pas quoi faire d’autre pour l’aider et prie seulement pour que quelqu’un arrive réellement. Mais “vite” s’avère finalement être cinq bonnes minutes avant qu’on ne frappe enfin à la porte et qu’elle ouvre à un jeune interne urgentiste qui s’empresse de rejoindre Mark.

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— Impuissante, Astrid observe tandis que l’interne ausculte Mark et décide finalement de l’emmener se faire examiner dans le service approprié. Elle reste sans bouger, plantée près de son bureau, quand les deux hommes passent la porte qui se referme dans leurs dos dans un bruit sourd. Elle n’a aucune idée de ce qui vient de se passer, de ce qui met Mark dans un tel état, ni même quoi penser de toute cette séance d’ailleurs. Tout ce qui lui semble évident, c’est que l’homme a besoin d’aide et qu’il est largement temps que quelqu’un la lui offre. Elle veut bien s’en charger, car après tout aujourd’hui, il ne lui a pas donné le même sentiment étrange que sur Perfect Love. Seulement, pour l’instant, elle n’a aucune idée de ce qui se passe pour lui avec le médecin, alors elle se remet en mouvement après deux ou trois minutes d’un immobilisme presque inquiétant. Un coup d’oeil à sa montre lui indique que la séance de Mark se termine de toute façon dans quinze minutes, alors plutôt que de les passer à ne rien faire, la psychologue s’assoit à son bureau et décide de profiter de ce temps pour mettre un peu d’ordre dans ses notes. Elle vient tout juste de terminer quand quelqu’un frappe à la porte de son bureau, qui s’ouvre avant qu’elle n’ait le temps d’inviter le visiteur à entrer. Elle est un peu surprise, à la fois de voir Mark, mais surtout qu’il retourne s’installer sur le canapé comme si de rien était. Sourcils froncés, Astrid ne se lève même pas de son bureau. “Ravie de voir que vous allez mieux.” lâche-t-elle d’une voix blanche, perplexe quant au comportement de l’homme. “Notre séance est censée être terminée, cela dit et j’ai d’autres patients qui attendent, alors…” Elle a l’impression d’être un peu froide et n’aime pas vraiment ça, mais il faut bien qu’elle continue de travailler, elle ne peut pas tout abandonner pour un seul patient… “Vous pouvez reprendre un rendez-vous auprès de la secrétaire avant de partir, si cette première séance vous a convaincu de poursuivre la thérapie.” Elle force un sourire sur ses lèvres en attendant qu’il quitte son bureau, toujours un peu incertaine quant à ce qu’elle doit penser de tout ça. Il n’a pas l’air méchant, mais elle se demande vraiment comment elle va pouvoir l’aider à s’ouvrir pour comprendre tout ce qui se passe dans sa vie.