Le bal a été une réussite, aux yeux de Matt en tout cas. Tellement d’invités se sont présentés et, parmi eux, un bon nombre de nouvelles recrues potentielles se cachent. Les petites énigmes dispersées au cours de la soirée ont même permis d’en identifier plusieurs. Malheureusement, depuis cet événement, on ne peut pas dire que la rébellion se fasse particulièrement entendre. Les examens de fin d’année à l’université y sont pour beaucoup, mais pas seulement. Les quelques personnes ayant réussi à aller jusqu’au bout des énigmes et désormais présents sur le groupe de discussion créé par Matt attendent quelque chose : des preuves. Le PRP doit agir et les convaincre. Matt ne sait pas trop comment s’y prendre pour l’instant. Heureusement, il n’a pas à réfléchir à tout cela tout seul.

La soirée est à peine entamée quand le jeune homme émerge de sa chambre pour la première fois depuis plusieurs heures. Ses colocataires regardent quelque chose sur la télévision du salon. On l’a invité à se joindre à eux, mais il ne se souvient même plus quel était le programme. Sûrement un film, à en croire les quelques images qu’il aperçoit en approchant du canapé. Il ne compte toujours pas se joindre à la fête, loin de là. “Alba ?” appelle-t-il, en replaçant ses lunettes sur l’arrête de son nez d’un seul doigt. Il a toujours l’air un peu gauche et paumé, qu’importe qu’il ne le soit pas vraiment. “J’ai besoin d’une opinion extérieure sur une vidéo que je prépare. Tu peux m’aider ?”

Alba est la seule de la colocation à connaître les agissements de Matt et son implication avec le PRP. Ils ont travaillé dur pour que ce groupe se fasse connaître dans toute la ville. Le reste de leurs amis pensent tout bêtement que le pauvre Matt ne s’est jamais remis de sa rupture avec la jolie jeune femme et qu’il est prêt à toutes les occasions pour passer un peu de temps avec elle. Tant mieux pour tout le monde.

Il attend sagement qu’Alba confirme et retourne dans sa chambre, fermant soigneusement la porte dans le dos de la jeune femme. Sa chambre ressemble à celle de n’importe quel étudiant : le lit n’est pas fait, des vêtements traînent un peu partout, il y a encore un bol sur la table de chevet et les rideaux sont tirés. La pièce maîtresse est l’immense bureau sous la fenêtre, sur lequel repose un ordinateur, plusieurs écrans et du matériel informatique à n’en plus finir. Il allume l’un des écrans et s’assoit au pied de son lit, pointant la page qui s’affiche. “Quelques personnes ont rejoint le groupe de discussion,” explique-t-il, “ils veulent une preuve qu’on dit la vérité sur les élections. La plupart n’ont même pas encore répondu… Faut qu’on trouve un moyen de les motiver, et vite. Je sèche complètement...” Tout est tellement plus simple quand on sait que ce qu’on dit est vrai. Comment le prouver, cela dit ? Matt pourrait envoyer les données qu’il a réussi à subtiliser concernant les élections, mais… Elles ne prouvent pas grand chose, puisqu’elles ne viennent même pas des serveurs du Gouvernement, mais de ceux d’un groupe dissident qui ne soutient pas vraiment le PRP.

Ce n’est effectivement pas étonnant que leurs futures nouvelles recrues demandent des preuves, mais Matt espérait un peu qu’Alba lui donne une réponse différente. Quand ce n’est pas le cas, son visage se tord de désespoir. Ils vont devoir trouver une solution à ce problème. Ou bien trouver un moyen de tourner l’attention de leurs recrues vers un autre sujet, peut-être ? Bien sûr, tout le monde veut parler de cette bombe qu’ils ont lâchée pendant le bal et ça n’a rien de surprenant non plus. À leur place, Matthew serait le premier à vouloir qu’on lui explique de quoi il retourne exactement. Il a eu franchement du mal à comprendre pour quelle raison le groupe à qui il a volé ces informations ne les utilisait pas. Maintenant qu’il est dans leur situation, il comprend beaucoup mieux…

“J’ai essayé presque toute la journée, mais rien à faire. Les serveurs sont tellement sécurisés que je m’attends à voir débarquer la Milice d’un moment à l’autre…” souffle-t-il, dépité, à la question de son amie. Il lance même, inconsciemment, un regard suspicieux à la fenêtre de sa chambre, comme s’il s’imaginait vraiment que tout un groupe de Miliciens attendent sagement dans le jardin le meilleur moment pour débarquer et l’envoyer en prison. Ou pire encore. Il secoue la tête, semble pris d’un léger frisson, mais repose rapidement son attention sur Alba. Tant qu’ils sont encore en liberté, ils doivent s’occuper de leur problème principal.

“On a besoin de quelqu’un de l’intérieur, qui puisse farfouiller dans les serveurs sans attirer l'attention…” murmure-t-il en regardant l’écran de l’ordinateur. Il ne le dit pas à voix haute, mais c’est assez évident qu’il sous-entend à demi-mots que c’est peut-être possible. Il faudrait être bien idiot pour ne pas avoir remarqué le nom de Victoria Miller sur le groupe de conversation. La fille aînée du Président n’aurait même pas dû être à cette soirée et franchement, le fait qu’elle y ait non seulement assistée, mais qu’en plus, elle soit désormais dans le secret de cette conversation est une importante source de stress pour Matt. Il existe une chance, non négligeable, que la jeune femme soit surtout présente pour les coincer. Il a longuement hésité avant de la laisser participer quand même. Si elle s’avère être sincèrement de leur côté, alors… Elle représente un atout de taille pour le PRP. “Elle travaille à DoubleThink, elle a accès aux serveurs comme elle veut et même si ce n’est pas tout à fait vrai, qui oserait bousculer la fille du Président ? Elle a toutes les cartes Sortie de Prison du jeu…” La vraie question est de savoir s’ils peuvent lui faire confiance. Et même si c’est le cas, comment la convaincre ?

Victoria Miller… Elle tient presque de la créature mystique aux yeux de Matt. Toute sa vie ou presque, il l’a vu grandir dans l’ombre du Président, soutenant chacune de ses paroles. Ils ne sont officiellement pas en monarchie, mais c’est une évidence que quand viendra l'heure de la retraite pour Liam, Victoria reprendra le flambeau. Ou du moins, c’est ce qu’il croyait jusqu’à la voir au bal. Il essaye de rester prudent, de garder l’esprit que tout ceci pourrait n’être qu’un piège, mais c’est difficile de ne pas espérer. Espérer que, peut-être, elle puisse vouloir rejoindre leur camp ou au moins s’associer à leur lutte pour un changement. De toute évidence, Alba ne peut résister totalement à la tentation d’espérer, elle non plus. “Elle s’est présentée sous leur étiquette.” souffle-t-il, prudent, pour appuyer les propos de son amie. “Son programme était un peu plus social en apparence, mais conservait les points essentiels du parti…” Elle s’approche peut-être du précipice, la question est de savoir comment la pousser dans le vide sans l'effrayer.

Alba semble avoir un plan. Plan qui, à peine formulé, fait relever brusquement les yeux à Matt pour poser son regard sérieux sur la jeune femme. “Quoi, tu veux la séduire pour la manipuler ?” demande-t-il, dubitatif. “C’est Victoria Miller… Loin de moi l’idée d’insinuer que tu n’es pas absolument irrésistible, mais tu crois vraiment que ça pourrait être aussi facile ?” Il faudrait qu’Alba se montre bien convaincante et cette idée a quelque chose d’assez dérangeant dans l’esprit de Matthew. C’est… Mal ? Autant que nombre de choses qu’ils font pour le PRP, d’après l’opinion de certains, mais ils n’ont jamais blessé personne, jamais menti.

L’idée le fait réfléchir, en tout cas et quelques minutes, il reste perdu dans ses pensées à passer en revue toutes les possibilités qui s’offrent à eux. Ils jouent à un jeu dangereux et pourtant, l’espace d’un instant, l’étudiant se prend à rêver qu’ils ne risquent rien puisqu’ils ont raison. “On pourrait jouer le tout pour le tout et dire la vérité ?” propose-t-il, plein d’espoir. C’est sans doute naïf, mais pas forcément impossible non plus. “Ces gens sont là parce qu’ils ont envie de nous croire, qu’ils pensent comme nous plus ou moins consciemment… Si on leur dit comment on a obtenu ces infos et qu’on a besoin d’aide pour vérifier sur les serveurs officiels qu’elles sont vraies, peut-être qu’ils voudront agir ?” Ce serait tellement magique, de réussir à les convaincre et les impliquer aussi simplement que ça. “Peut-être même que Victoria en personne nous offrira la solution sur un plateau.” Là, il va peut-être un peu trop loin dans les fantasmes.

Ils n’ont pas de solution miracle, pas pour un sujet comme celui-là, mais Matt est assez satisfait des pistes qui se dessinent. Ils ont Victoria Miller, après tout ! Elle n’en est pas encore à porter fièrement les couleurs du PRP, ne le sera peut-être jamais, mais s’ils la jouent fine, elle peut représenter un atout de taille… Ne reste qu’à espérer qu’Alba soit capable de la convaincre et subtilement avec ça. Matt reste assez dubitatif sur ce point et il ne s’en cache pas. “Je suis partant pour que tu essayes de te rapprocher d’elle.” accorde-t-il, prudent, pour ajouter aussitôt : “Mais va falloir faire ça soigneusement. Hors de question de la faire fuir, Miss Bombe à retardement !” Il va de soi que Matt a une confiance aveugle en Alba. La preuve, elle est plus qu’une simple membre de son petit groupe de rebelles, ils ont fait tout ça ensemble et il ne lui cache aucun détail, mais… On ne peut pas toujours accuser la jeune femme d’être calme et réfléchie. Si ça ne tenait qu’à elle, il y a fort à parier que la Maison Blanche aurait été réduite en cendres depuis longtemps. Ou du moins, c’est ce que Matt soupçonne. “On doit la traiter comme une petite chose douce et délicate.”

Quant à dire la vérité au reste de leurs potentiels recrues… L’étudiant ne voit pas d’argument pour ne pas le faire et il a l’impression qu’Alba non plus. “On oblige personne à agir, de toute façon. On dit seulement la vérité. C’est une preuve de bonne foi et de confiance, pas vrai ? Je préfère que Winston passe pour un leader honnête capable d’admettre ses faiblesses et demander de l’aide quand il en a besoin, plutôt que pour un mégalo qui veut faire la révolution par simple soif de pouvoir !” Leur personnage, chef de parti virtuel, manque cruellement de subtilité, mais au moins le message du PRP est clair. Et c’est vital qu’il ne partage pas les mêmes défauts que Liam Miller. Matt se demande souvent si leur cher Président sait et participe à toutes les manigances du parti ou s’il n’est pas seulement une marionnette. Un petit Winston Smith à sa manière : un joli visage qui inspire la confiance et le charisme, mais qui n’existe pas réellement. C’est comme ça qu’il l’a toujours imaginé, en tout cas, certainement trop naïf pour croire qu’une seule personne soit capable d’autant de malversations…

Il est tiré de ses pensées au sujet du père par une remarque moqueuse concernant ses sentiments sur la fille. La taquinerie d’Alba lui arrache un air outré et un rire. “Je ne suis pas fan de Victoria Miller !” dément-il, pas très convaincant. “C’est juste… Ok, peut-être que je craquais un peu sur elle quand j’étais gamin. Je ne suis qu’un homme, d’accord ? J’étais obligé d’avoir un crush sur la jolie fille du Président, on ne voit qu’elle dans les médias depuis des années ! Je te parie que tous les hommes du District ont rêvé de l’épouser au moins une seconde de leur vie.” Ça lui est passé depuis, mais il doit bien admettre qu’il conserve une certaine fascination pour la jeune femme. Et c’est normal, pour un jeune homme à ce point passionné par la politique, d’avoir un intérêt tout particulier pour l’avenir de leur ville, non ? Victoria est l’héritière du trône de D.C, pas mal des espoirs du jeune Matt ont longtemps reposés sur l’espoir qu’elle soit différente de son père. Rêve qui semble tout à coup près à se réaliser, d’ailleurs…

“Je me doute bien qu’elle n’ira pas jusqu’à nous donner ce qu’on veut aussi facilement, mais… C’est peut-être juste des fantasmes de gosse qui s’attardent, mais je crois vraiment qu’elle a des doutes et qu’on a une chance de la rallier à notre cause.” affirme-t-il, plein de conviction. “Si je me trompe à son sujet, on le saura vite de toute façon… si elle est toujours du côté de son père et qu’elle est là seulement pour nous coincer, on finira rapidement exilés.” Si Victoria est aussi douée que le prétendent les médias en ce qui concerne l’informatique, ce n’est qu’une question de temps avant qu’elle ne parvienne à remonter jusqu’à eux. C’est quitte ou double : soit ils arrivent à la recruter, soit ils finissent leurs vies derrière les murs de la ville avec le reste des criminels. “Bon, alors… Comment tu comptes devenir sa nouvelle meilleure amie, au juste ?” Il n’est toujours pas hyper chaud à l’idée de passer par la manipulation pour parvenir à leurs fins, mais… Victoria reste leur meilleure chance et il n’est clairement pas celui des deux qui arrivera à la séduire.

Matt est bien incapable de dire si le plan d’Alba a des chances de fonctionner ou non. C’est facile de deviner ou, au moins, d’imaginer les différentes possibilités quand il peut se contenter de voir les gens comme des archétypes plus que comme des êtres humains doués d’une raison propre. Malheureusement, ça ne s’applique pas à Victoria Miller. S’il a longtemps cru la comprendre sans avoir besoin d’en savoir plus sur elle que son image publique, cela a définitivement changé aujourd’hui. La fille du Président est en train d’agir d’une manière que jamais Matt n’aurait envisagé sérieusement. Sa loyauté envers son père et le parti est la seule chose dont il soit sûr depuis toutes ces années. Si ce fait évolue, alors que reste-t-il ? “J’en sais rien…” souffle-t-il, dépité, quand son amie lui demande son avis sur la marche à suivre.

“Ton plan peut marcher, mais je t’avoue que je ne sais plus quoi penser d’elle.” Sans compter qu’il a effectivement quelques scrupules à tenter de manipuler la jeune femme. Il y a beaucoup trop d’inconnues dans cette équation… “Tu sais à quoi ça me fait penser ?” lance-t-il, sans attendre de réponse, “à des fanfictions que je lisais en ligne quand j’étais ado ! Le coup de la fausse relation qui devient sincère, les trois ou quatre chapitres dramatiques au milieu quand la personne manipulée se rend compte de ce qui se passe et que le manipulateur essaye de convaincre l’autre que ses sentiments sont réels maintenant !” Cela dit, ils n’ont pas tellement de solutions. Approcher Victoria en lui disant toute la vérité n’est qu’une perte de temps et un risque inutile. Si Alba va jusqu’au bout, elle doit mentir un minimum.

“Tu veux vraiment aller la voir et lui parler du bal de but en blanc ?” demande-t-il, dans l’espoir d’obtenir une réponse cette fois. “Ça me met mal à l’aise de lui mentir et ça n’a rien à voir avec de quelconques sentiments que j’aurais pour elle ! Je suis seulement inquiet de ce qui peut se passer si elle finit par le découvrir. Franchement, la possibilité que vous tombiez réellement amoureuses l’une de l’autre est presque la meilleure chose qui puisse nous arriver dans cette configuration…” Il va probablement croiser les doigts pour que ça arrive, honnêtement. “Ok, ok…” lâche-t-il, plus pour lui-même que pour Alba. “Mettons qu’on mette ton plan à exécution… Je pense vraiment que tu devrais y aller plus doucement. C’est vrai qu’elle n’a pas l’air du genre de fille qui a besoin d’être traitée comme une princesse, mais elle risque de sentir qu’il y a anguille sous roche si tu l’abordes en parlant trop vite du bal. À ta place, je prétendais la reconnaître après quelques temps. Après tout, elle portait un masque, alors ok son visage est parmi les plus connus du District, mais au moins elle ne prendra peut-être la fuite aussi sec.” Pour le reste, honnêtement, il n’est pas un très grand spécialiste de la meilleure façon de parler aux filles. “Où est-ce que tu penses pouvoir la rencontrer par hasard ?” s’enquiert-il, parce qu’on parle quand même d’une personne qui ne passe pas un temps fou à se balader dans les coins sordides de la ville.

Clairement, le sujet le plus important ici, c’est bien de savoir comment ils vont réussir à attirer Victoria Miller dans leurs filets. Alba le sait, Matt le sait, aucun problème là-dessus. Seulement, c’est sa faute à elle si l’attention de Matt se porte sur autre chose. Voilà. Il replace ses lunettes en lui lançant un regard noir, alors qu’il est presque sûr qu’elle se moque de lui très subtilement. “Je n’ai jamais dit que vous alliez tomber amoureuses, juste que ça se passe comme ça dans les fanfictions !” s’offusque-t-il, quoique ce ne soit pas nécessaire. “Je n’ai rien décidé, c’est juste un cliché comme un autre qui existe depuis des centaines d’années ! Et je n’ai jamais écrit aucune fanfiction sur ce sujet. Jamais !” Il ne nie pas avoir écrit des fanfictions, malheureusement et ne s’en rend pas compte immédiatement. Heureusement pour lui, il doute qu’Alba parvienne un jour à remonter jusqu’à son compte. Et ce n’est vraiment pas ce dont ils devraient débattre pour le moment. “Je t’en enverrais quelques unes par e-mail, il faut que tu fasses des recherches si tu veux te lancer là-dedans.” ajoute-t-il, pensif. Oui, elle aura définitivement besoin de matériel pour savoir ce qu’il faut faire et ne surtout pas faire. On n’est jamais trop prudent avec cette fille, Dieu sait que Matt en a fait les frais !

En fait, plus ils discutent de tout ça, plus Matt voit se dessiner dans son crâne le scénario d’une fanfiction qui ferait sûrement un tabac. Peut-être qu’il va se mettre à en écrire une sur ce thème, après tout. Du moment que Victoria Miller ne tombe jamais dessus, il ne risque rien… Il chasse cette idée de son crâne aussi rapidement que possible - lentement, donc - et essaye tant bien que mal de se concentrer sur tout ce qui peut mal tourner dans ce plan. Qu’on l’accuse d’être pessimiste, si on le veut. Lui se voit surtout comme une personne prévoyante. “L’alternative, ce serait qu’elle t’en veuille à mort et qu’elle arrête de nous aider à l’instant où elle découvrira tout...” fait-il remarquer, alors qu’une fois de plus, Alba nie toute possibilité pour elle de faire céder le coeur de la fille du Président. “Alors je me fiche de savoir comment tu t’y prends, mais débrouille-toi pour qu’elle ne puisse plus imaginer sa vie sans toi ! T’es même pas obligée de l’aimer en retour, même si franchement, t’aurais tort de t’en priver.”

Ils ne sont visiblement d’accord sur rien dans ce plan, à part peut-être le fait qu’ils n’ont aucune autre idée que celle-là. Malgré les arguments de la jeune femme, Matt continue de douter que ce soit une bonne idée d’approcher Victoria en lui parlant tout de suite du bal. Elle va forcément trouver ça suspect. Ou seulement nier par principe, car ce serait franchement mauvais pour son image et ses relations avec son père d’admettre qu’elle a fricoté avec l’ennemi. “La gare, c’est une bonne idée.” accorde-t-il quand même, elle peut au moins gagner sur ça. “Ça te laissera pas mal de temps pour discuter avec elle… Et… écoute, tu feras bien ce que tu veux, je serai pas là pour te souffler quoi lui dire de toute façon, mais je pense vraiment que tu devrais y réfléchir à deux fois avant d’aborder l’histoire du bal.” Ce qui est assez contradictoire avec le simple fait qu’il ne veuille pas lui mentir de base, d’ailleurs. “J’ai vraiment peur qu’elle le vive mal. Enfin, essaye de prendre la température avant de te jeter dans le grand bain, d’accord ? C’est peut-être notre seule chance d’en tirer quelque chose. Si tu vois qu’elle pourrait être ouverte à en parler, alors vas-y. Sinon, attends le bon moment. S'il te plaît.”

Très bien, ils ne vont pas pouvoir y échapper : Matt va devoir faire un cours accéléré sur les fanfictions à Alba. Lui faire comprendre pourquoi c’est un excellent moyen pour elle d’en apprendre plus sur la quête dans laquelle elle veut se lancer. Il va tout lui expliquer, mais d’abord, il veut en finir avec cette histoire avec Victoria. “Ok, écoute, on parlera de tout ça après. L’urgence, là, c’est de se mettre d’accord au sujet de Victoria.” gromèle-t-il, pas tout à fait ravi à l’idée de devoir dévoiler ce pan secret de sa vie à la jeune femme, bien conscient qu’elle ne laissera passer aucune occasion de le taquiner à ce sujet maintenant qu’il a ouvert la boîte de Pandore. Alors, il essaye tant bien que mal de recentrer la conversation sur les choses importantes et ses inquiétudes laissent rapidement la place à une immense bouffée d’affection quand la jeune femme prétend qu’elle sera perdue sans lui. “Je lâche pas pour les serveurs, t’en fais pas. On ne mettra pas tous nos oeufs dans le panier de Victoria Miller !” Surtout que l’issue de cette technique est bien trop aléatoire pour l’instant. Même s’il croit avoir une bonne idée de tous les scénarios catastrophes possibles, Matt a bien conscience que la réalité ne collera pas exactement à ce que peut imaginer un écrivain amateur sur internet.

“Mais j’ai confiance en toi. Tu vas t’en sortir, j’en suis sûr.” ajoute-t-il, plus doux. Normal qu’elle doute, c’est une mission importante qu’elle s’apprête à prendre en charge et ils savent tous les deux que ce n’est pas Alba le composant calme et maturité de la bande. Ça n’empêche pas qu’elle est parfaitement capable de faire ce qu’il faut et de prendre au sérieux leurs actions avec le PRP. Matt a peut-être souvent eu besoin de la canaliser, il n’en reste pas moins qu’elle a toujours été quelqu’un sur qui il pouvait compter. “Et puis, je serai là.” ajoute-t-il, “pas physiquement, mais tu peux toujours m’envoyer un message si tu paniques et on trouvera une solution. Y a des toilettes dans les trains, si tu dois t’échapper deux minutes pour qu’on change notre angle d’attaque, elle n’y verra que du feu ! On peut même se la jouer Cyrano si tu veux, ça peut être drôle !” Il n’est pas tout à fait sûr de lui sur ce point. Enfin, clairement, ce serait drôle qu’ils fassent ça, mais de là à ce que Victoria ne remarque rien… Mieux vaut éviter de prendre le risque.

“La première étape, c’est de la mettre en confiance. Quand elle acceptera de te parler, on avisera sur comment s’y prendre ensuite. T’es peut-être pas douée pour lire les gens, mais à nous deux on peut trouver ce qui se passe dans sa tête.” Il affiche plus de confiance qu’il n’en ressent, dans le seul but qu’Alba ne soit pas trop nerveuse au moment d’approcher Victoria. Au fond de lui, il a quand même confiance en eux, en l’avenir de leurs projets. Même s’ils ne doivent pas passer par Victoria, ils trouveront d’autres moyens d’avancer dans la bonne direction. “Et pendant que tu t’éclates avec la fille du Président, moi je reste enfermé dans ma batcave à chercher d’autres pistes, ok ?” conclue-t-il en désignant sa chambre d’un geste du bras. “Si ces abrutis des Systemics ont réussi à entrer dans les serveurs du gouvernement pour voler ce document, ça veut bien dire que c’est possible ! Je dois juste trouver comment ils s’y sont pris.” De toute évidence, il y a des gens plus intelligents que lui dans ce groupe, puisque lui n’arrive pas à aller jusque là. Pourtant, pour l’instant, Matt n’en est pas encore à se dire qu’il s’est fait battre par leurs ennemis, juste qu’il n’a pas trouvé ce qu’ils ont fait, mais que ce n’est qu’une question de temps.

“Donc, pour revenir aux fanfictions…” lâche-t-il dans un sourire, espérant détendre l’atmosphère maintenant qu’il s’est plié en quatre pour rassurer son amie. “Déjà, je tiens à te rappeler que dans Roméo et Juliette, personne ne fait semblant pour manipuler l’autre. Leurs sentiments sont sincères dès le premier regard, donc désolé de détruire comme ça tes fantasmes romantiques, mais la comparaison ne s’applique pas ! Ensuite, tu serais surprise de l’imagination que peuvent avoir certains. Toutes les situations possibles et imaginables existent dans au moins une fanfiction. J’suis sûr que quelqu’un en a déjà écrit qui colle exactement à ce qu’on cherche à faire. Et tu peux mourir avant que je te laisse lire un mot de ce que j’ai écrit.”

Si Alba n’est pas douée pour mettre les gens en confiance, Matthew quant à lui n’est visiblement pas doué pour les rassurer. Pourtant, il avait l’impression de bien s’en sortir, en disant à la jeune femme que tout se passerait bien, qu’il a confiance en elle. Ça n’a pas l’air de suffire à la rassurer et il n’a aucune idée de comment se montrer plus convaincant, en partie parce que ça l’angoisse autant qu’Alba, cette histoire. Ils s’attaquent à Victoria Miller, heureusement qu’ils sont un peu stressés, ce serait de la folie d’y aller sans se poser un minimum de questions. “Elle est venue à notre bal, non ? Peut-être qu’elle est moins… guindée qu’on l’imagine. Sois toi-même, t’es géniale, y a aucune raison qu’elle soit pas intéressée !” Et le plus triste, c’est qu’il le pense vraiment. Qu’elle vienne des bidonvilles ou pas, il ne voit pas pourquoi ça devrait poser problème. Et puis, il y a bien eu des rumeurs comme quoi la fille du Président sortait avec un espèce de petit délinquant des bas quartiers, non ? Alors, elle doit avoir l’habitude de fréquenter des gens qui ne viennent pas de sa petite cage dorée.

Malgré tout, Matt ne mentionne pas ce type comme argument. Ce ne sont que des rumeurs pour ce qu’il en sait, on a bien raconté qu’elle était enceinte aussi et il n’y connait peut-être pas grand chose, mais Victoria Miller ne ressemble clairement pas à une femme enceinte. Tout ça n’est probablement qu’un gros mensonge, et il n’a pas envie de se l’entendre dire par Alba, assassinant au passage son dernier argument pour la rassurer.

“Bien sûr qu’on y arrivera, même si je dois aller me traîner aux pieds de ces abrutis de Systemics, on aura nos preuves je te le promets.” Ca, par contre, il ne peut pas le laisser passer. De toute façon, ils n’ont pas besoin de preuves concrètes pour convaincre la plupart des citoyens que quelque chose ne va pas dans ce gouvernement. C’est assez évident pour tout le monde, sauf ceux qui profitent allègrement du système. “J’ai rencontré une fille.” lâche-t-il avec précautions. “C’est la petite soeur de mon prof de littérature à la fac. Elle m’a dit que lui aussi, flirtait dangereusement avec la rébellion. On a des alliés partout, Alba, sans même le savoir. Tout ce qu’il faut, c’est les mettre assez en confiance pour qu’ils acceptent de nous parler, la suite viendra toute seule.” Il doute de ce qu’ils font sans arrêt, mais certainement pas du fait qu’ils ont raison et qu’ils font ce qu’il faut. Tant pis si ça prend du temps de construire quelque chose de concret, ils ne sont pas pressés de toute façon.

Un soupir lui échappe finalement, alors que son amie continue de paniquer tranquillement. “Ok, ok, je t’enverrai quelques unes de mes créations et tu auras le droit de te moquer pendant exactement cinq minutes par histoire. Deal ?” Il est vraiment prêt à tout pour qu’elle se calme, qu’elle respire un grand coup et qu’elle se lance. “Tout va bien se passer, Alba. On s’en sort toujours !” C’est vrai, non ? Ils sont arrivés jusque là, après tout. Et pour deux étudiants inconnus, c’est plutôt incroyable de se dire qu’ils ont réussi à faire déplacer des gens importants à un petit bal idiot ! Ils sont en train de monter en puissance, ce n’est pas le moment de lâcher.