Jour de repos pour Marcus aujourd'hui, et il en était bien content. Il allait pouvoir passer du temps avec sa fille, et en plus de ça, son ami Matthew allait venir leur rendre visite. Le seul ami qu'il avait bien pu se faire en arrivant ici, et il en était bien content. Il se sentait un peu moins seul depuis qu'il l'avait rencontré, et vu que Mia l'adorait... C'était que c'était quelqu'un de bien. Bon, ce n'était pas forcément ce qu'il y avait de plus intelligent de se fier au jugement de sa fille de quatre ans, mais bon. Son avis était toujours important pour lui, et ce serait toujours le cas. Sauf peut être quand elle faisait un caprice ou qu'elle était de mauvaise humeur. Ce qui était très loin d'être le cas aujourd'hui. Ils étaient tous les deux en train de jouer à la balle dans le salon en attendant que Matt n'arrive. Et Marcus venait de sauver sa télé pour la cinquième fois consécutive quand la sonnette se fit finalement entendre. Il posa alors la balle au sol, suivit de près par sa fille qui sauta presque pour agripper les jambes du brun quand Marcus avait ouvert la porte.

« Salut ! Je crois que t'as un pot de glue accroché à tes jambes. »

Un pot de glue très mignon qui avait quand même fini par le lâcher pour le laisser entrer. Et aussi pour retourner jouer dans le salon. Que Marcus s'empressa de rejoindre pour récupérer la balle avant qu'elle ne finisse dans sa télé, tout en sachant que Matt allait le suivre. C'était clairement pas le moment de casser quelque chose dans la maison maintenant. Du moins pas s'il voulait partir à Ottawa pour les vacances scolaires, et c'était un peu dans ses projets. Sa mère l'avait tannée pour voir la petite que s'il y allait pas, elle serait capable d'envoyer les flics le chercher.

« Tu vas bien ? Tu veux boire quelque chose ? »

Maintenant que la petite balle était hors de portée de toute petite main maladroite, le blond pouvait dignement s'occuper de son invité. Tout en gardant bien entendu un œil sur sa fille qui s'était finalement installée sur la table basse pour dessiner. C'était son passe temps préféré, ces derniers temps, alors qu'elle n'avait jamais vraiment dessiné avant. Mais bon, elle grandissait aussi, et elle était de plus en plus calme. Peut être qu'elle prenait en sagesse. Il ne savait pas tellement, vu que la plupart du temps avec sa fille, il apprenait sur le tas.

Il aurait bien du mal à expliquer pourquoi, mais c’est de plus en plus rare que Matt se lie à des gens qui n’ont aucun rapport avec ses activités militantes. Sans doute que c’est tout simplement moins dangereux comme ça, pour lui autant que pour les autres. Il y a quelques exceptions pourtant, elles se comptent sur les doigts d’une seule main, mais elles existent. Marcus est l’une d’entre elles. C’est tout juste si l’étudiant ne se sent pas coupable d’être son ami alors que le jeune père essaye tant bien que mal de se frayer un chemin dans le système injuste de cette ville. Il fait toujours très attention à ce que personne ne puisse suspecter Marcus de savoir quoi que ce soit de ses activités extra-scolaires. D’autant plus, comme c’est le cas aujourd’hui, quand il rend visite à l’homme directement chez lui. On n’est jamais à l’abri dans cette ville, même pas chez soi, où les voisins ont peu de scrupules à se dénoncer les uns les autres en échange de quelques points. Alors quand Matthew entre dans l’immeuble où vit l’homme, il s’assure toujours d’avoir l’air d’un type un peu paumé et mal dans sa peau. Avec ses lunettes d’un style particulièrement rétro et ses chemises trop grandes, pas difficile de passer pour un inoffensif petit idiot. La preuve : la vieille dame qui habite l’appartement du rez-de-chaussé et qui est toujours à la fenêtre le salut avec le même air exaspéré qu’elle a chaque fois qu’elle le voit. Matthew bafouille quelques politesses en retour et entre dans l’immeuble en regardant le sol. Il est devenu un acteur de génie - d’après sa propre critique en tout cas.

Le temps de monter les étages et de sonner à la porte de l’appartement, et Matthew doit s’accrocher au montant pour ne pas perdre l’équilibre quand Mia lui saute dessus. “Salut vous deux !” lance-t-il, son regard passant rapidement sur Marcus pour se concentrer sur sa fille. “Tu feras une excellente joueuse de rugby plus tard, Mia. Tu gères les plaquages comme une pro !” félicite-t-il la fillette, qui ne semble pas spécialement convaincue par ce vote de confiance. Elle le lâche malgré tout et, de nouveau stable sur ses deux pieds, le jeune homme entre dans l’appartement avec autant d’aisance que s’il entrait chez lui. Il ferme la porte sans un regard en arrière et va au salon sans hésiter, déjà occupé à récupérer son sac à dos quand Marcus lui demande s’il veut boire quelque chose. “J’ai rapporté un pack de Ginger Ale !” annonce-t-il fièrement en ouvrant le sac. Ses colocataires et autres amis de la fac se moquent sans arrêt de lui et des jus de fruits et autres sodas qu’il traîne avec lui à chaque petite fête, mais il préfère ça à perdre bêtement des points juste à cause d’une bouteille de bière. Il pose le pack de six bouteilles sur la table basse et se laisse tomber dans un fauteuil, son sac finissant sa course sur le sol près de ses pieds. “Enfin, si tu veux boire autre chose, je t’en prie !” souffle-t-il quand même, un sourire timide au coin des lèvres.

“Alors, quoi de neuf chez les O’Maley ?” demande-t-il tranquillement. “Vous avez des projets pour l’été ?” C’est peut-être l’une des choses qu’il préfère quand il passe du temps avec Marcus : tout est normal. Il se sent normal, comme si tous ses secrets restaient sur le palier et qu’il avait droit à une pause ne serait-ce qu’un instant. “L’un de mes camarades de classe a une maison en Virginie ! Il me loue une chambre pour l’été, si vous voulez venir à la plage, faites-moi signe !” offre-t-il dans un grand sourire.

Parfois c'était à se demander si Marcus ne donnait pas des boissons énergisantes à sa fille quand on voyait justement toute l'énergie qu'elle pouvait avoir. Et pourtant non, il ne le faisait pas, mais alors pas du tout. Elle était juste toujours comme ça, une petite boule d'énergie toujours prête à exploser, comme il avait pu lui même l'être quand il était petit, en fait. Et il comprenait maintenant pourquoi ses parents pouvaient être épuisés parfois, à devoir s'occuper de lui. Même si de son côté, il n'avait clairement pas de quoi se plaindre. Il n'avait que Mia à s'occuper, pas d'autre enfant, pas d'animal de compagnie et un boulot qui lui donnait des horaires relativement correctes. Clairement, il n'avait pas de quoi se plaindre dans l'immédiat, même s'il savait qu'ici, tout pouvait changer à tout moment. Et c'était bien pour cela qu'il faisait attention à tout.

« Elle gère peut être les plaquages, mais pas très bien les bobos. »

Une remarque qui lui vaut un regard pas très content de la part de sa fille, parce qu'elle savait qu'il avait raison. Et qui fut rapidement changé par un sourire quand il lui passa les mains dans les cheveux. Il laisse alors son ami entrer, le suivant dans le salon en lui proposant quelque chose à boire, avant qu'il ne sorte de son sac des cannettes de soda.

« Oh non, ça me va très bien ! T'en veux un verre avec papa, Mia ? »

C'était comme demander à un aveugle s'il voulait voir le coucher du soleil ça. Bon, du coup Marcus était parti chercher trois verres dans la cuisine qu'il dépose alors sur la table, avant d'en servir un à sa fille. L'avantage maintenant était qu'elle pouvait boire toute seule. Même si ça voulait dire qu'elle grandissait, le seul défaut à tout ça, en fait. Il aurait bien aimé qu'elle reste toute petite jusqu'à la fin de ses jours, mais ce n'était malheureusement pas possible. Et il arriverait un jour où il allait devoir la laisser partir. Heureusement, c'était dans bien longtemps.

« On va passer deux semaines à Ottawa pour sûr, avant que ma mère fasse un arrêt cardiaque. Même si elle risque d'en faire un en voyant la petite. Et de ton côté ? »

Visiblement, sa destination de vacances était la Virginie. Et il leur proposait même de se joindre à lui s'ils le désiraient. Pourquoi pas ? Marcus n'était jamais aller dans ce coin du pays, et aller à la plage ferait sans aucun doute plaisir à Mia. Ils n'avaient pas vraiment l'occasion d'y aller habituellement, et tout ce qui pouvait faire plaisir à sa fille, Marcus le prenait sans hésiter.

« Oh ouais, ce serait super, merci ! Enfin, si la princesse a envie d'aller se baigner... »

De quoi déclencher un grand « Ouiiii ! » d'une petite fille soudainement enthousiasmée par ses vacances. Ça allait sans aucun doute leur changer un peu les idées, et leurs habitudes aussi. Ils n'étaient jamais vraiment parti en vacances, finalement, Mia était trop petite avant pour qu'il se permette de partir tout seul avec elle. Mais c'était différent, maintenant. Et étrangement, Marcus avait moins peur de certaines choses à l'égard de sa fille. Le fait de vivre ici devait sans aucun doute jouer. Il n'y avait pas d'énormes dangers dans le coin.

« Et tes études alors ? Tu sais déjà si t'as ton année ? »

Là c'était son côté prof qui ressortait un peu. Les examens allaient avoir lieu la semaine prochaine pour les lycéens, mais il doit bien avouer que pour les facs, il était un peu à la ramasse au niveau des dates. Enfin, pas pour les dates d'inscriptions, mais pour les autres dates. Ça faisait un moment qu'il n'y avait pas mis les pieds en même temps, et il ne pensait pas que ce serait une chose qui changerait pour l'instant.

Détendu, Matt observe les échanges entre Marcus et sa fille sans perdre son sourire. Lui n’a clairement pas la fibre paternelle, ni même l’envie d’avoir un jour des enfants, mais il faut bien admettre que ces deux-là sont adorables ensemble. Et ça lui fait toujours un drôle d’effet quand il se rappelle que Marcus a eu sa fille à peu près à l’âge que Matt a aujourd’hui. Il n’a jamais osé poser la question directement, mais il se demande souvent si c’était par envie ou par accident que Mia est arrivée dans la vie de l’homme. Son cruel manque de maturité a une réponse toute prête à cette question.

Il ouvre une bouteille de soda et verse son contenu dans l’un des verres, tandis qu’il écoute Marcus parler de leurs projets de vacances, son regard revenant brièvement se poser sur l’homme quand il parle de leur projet de retourner au Canada. “C’est vrai ? Je compte sur toi pour prendre des milliers de photos !” Il en a déjà vu pas mal, grâce à Marcus uniquement, mais continue de ressentir une certaine soif d’en apprendre toujours plus au sujet de son pays d’origine, sujet on ne peut plus tabou dans sa famille. Marcus ne vient pas de la même région, mais dans l’esprit de Matt, la terre de ses ancêtres est en tout point semblable aux photos que le professeur lui a montré à plusieurs reprises. “Vous partez quand ?”

Il pourrait parler des vacances pendant des heures encore, mais Marcus n’est pas du même avis. Matt ne peut s’empêcher de lever les yeux au ciel quand l’homme lui demande des nouvelles de ses études, mais un grand sourire vient vite gâcher son faux air exaspéré. “J’ai reçu les résultats il y a quelques jours, oui !” annonce-t-il, fièrement. “J’entame officiellement ma dernière année de Master à la rentrée ! Je devrais être Président d’ici cinq ou dix ans si tout se passe bien.” Il lâche un rire à cette annonce, signifiant bien qu’il s’agit plus d’une plaisanterie que d’un véritable projet. “Mais on est en vacances pour l’instant, alors oublie un peu l’école ! En tout cas, moi, je ne veux plus parler ni même penser à la politique pour les deux prochains mois.” Il avale une gorgée de son soda, mais ne laisse pas beaucoup plus de temps à Marcus de trouver une autre question de prof à lui poser. “Parle-moi plutôt d’Ottawa. Ça ne te manque pas ? J’aimerai bien aller visiter un peu le Canada, quand j’aurais terminé mes études…”