Le moment qu’il redoute depuis si longtemps est enfin arrivé. Paralysé par la peur et le choc, James reste pourtant immobile et silencieux alors que sous ses yeux, Jessie est en train de possiblement détruire sa vie. Ses mains, jusqu’alors posées sur les bras de son frère, retombent dans le vide et près de lui, il sent la présence de Marvin, leurs doigts qui s’effleurent quand sa main retombe sur sa hanche. Il n’arrive pas à bouger, peut à peine respirer et Jessie continue, répète encore et encore : James, James, James. La scène semble complètement irréelle au jeune homme. Peut-être est-ce simplement un cauchemar. Oui ce doit être ça, car tout à coup Jessie disparaît, comme aspiré par la foule et James n’arrive toujours pas bien à comprendre ce qui se passe. Dans sa tête, il croit entendre le rire de Marvin, ce rire qu’il connaît par coeur et qui ne manque jamais de secouer les papillons qui ont récemment élu domicile dans son ventre. Ils ne bougent pas, cette fois, et le rire de Marvin résonne et résonne, et donne envie à James de rire aussi. Peut-être que c’est ce qu’il fait, il n’est pas trop sûr. Il y a quelque chose de bizarre, sans qu’il ne sache trop expliquer quoi. Il se sent bien, tellement bien et à la fois… Mort de peur. C’est donc ça qu’on ressent quand notre vie s’écroule tout à coup ? James s’imaginait plutôt quelque chose de terrible et de douloureux, pas cette euphorie inexplicable et encore moins cette impression de flotter.

Le monde tourne à une vitesse folle, mais quand ça s’arrête James et Marvin se font face. Il croit que l’homme sourit, mais pas tout à fait. Qu’est-ce qui se passe ? Il a les mains sur les hanches, comme s’il allait gronder James pour cette grosse bêtise. Il ne rit plus du tout, mais il demande à James : comment tu t’appelles ? “James.” répond ce dernier, par automatisme. Il ne sait même plus où il est, alors se souvenir qu’il doit mentir sur son nom ? “C’est James.” répète-t-il comme un crétin. C’est un crétin, un vrai idiot. Et ça le fait rire, un vrai rire, sincère, lui échappe juste comme ça. Ça fait mal, c’est bizarre. Et sur la fin, on dirait presque un sanglot. Sans réfléchir, il approche d’un pas et s’accroche aux bras de Marvin. Il peut voir dans ses yeux, comme chaque fois qu’ils s’embrassent et, oh mon Dieu, ce qu’il aimerait l’embrasser là tout de suite. “Marvin…” lâche-t-il plutôt. “Marvin…” Il doit dire quelque chose, mais il n’est plus très sûr de quoi. Les lèvres de l’homme, si proches, son souffle comme une caresse sur sa peau… Tout ça le perturbe, lui fait perdre ses esprits. Il ferme les yeux, son visage s’approche dangereusement de celui de l’homme, mais il n’arrive pas à aller jusqu’au baiser quand le visage de son petit frère apparaît soudainement derrière ses paupières closes.

Il rouvre les yeux d’un coup et s’éloigne un peu, surpris, paniqué. Tout lui revient alors. “Attends…” supplie-t-il. “Attends ! Je peux t’expliquer.” Est-ce qu’il peut, vraiment ? Ca ne semble pas très clair, même pour lui. “Ce n’est pas ce que tu crois, je…” Il avait une bonne raison de mentir, il en est sûr, il s’en souvient. Il faut juste qu’il retrouve les bons mots. “Je voulais te le dire, j’attendais juste le bon moment.” Il n’est plus très sûr de pourquoi le bon moment ne s’est jamais présenté jusque là, mais il sait avec certitude que ce n’est toujours pas maintenant. Il y a tellement de monde à cette fête. Et il a dû boire trop d’alcool, peut-être. C’est l’explication la plus logique à ce qui se passe, car vraiment, il n’est pas bien, pas bien du tout. Et pourtant tellement, tellement bien.
 

( Pando )

Il ne sait pas vraiment ce qu'il doit comprendre, Marvin. Les idées se mélangent dans son cerveau, et il a du mal à saisir exactement la teneur des informations qui lui ont été présentées sur un plateau d'argent. Et quand il regarde Henry, ou James, ou peu importe son prénom, il hésitait entre la sensation d'être trahi, celle d'incompréhension, et l'envie de hurler. Mais de hurler après quoi ? La confusion était là, sûrement liée au seul verre qu'il avait ingéré, pour quelqu'un qui résistait plutôt bien, c'était raté. Mais elle prenait possession de son cerveau, de ses moyens, de ses facultés, et tout ça sans qu'il réalise que ça venait de son verre. Il l'avait fini d'une traite en regardant celui qui avait été son amant. L'était-il encore. Il avait l'impression qu'autour de lui, tout s'effondrait. Quelle était cette nouvelle certitude sur laquelle il s'était appuyée pour avancer, et qui venait, une fois de plus, de lui glisser des mains, s'évanouissant sous le poids de son appui, et le laissant désormais tomber, s'écrouler ?

Entendre une réponse à sa question, ça n'était pas vraiment mieux que de se poser des questions. Le mensonge n'avait eu de cesse de frapper à la porte de chacune de leur rencontre, et le prénommé James n'avait jamais saisi la moindre occasion de lui dire la vérité, là où lui, tout Marvin qu'il était, lui avait ouvert son coeur, et avait parlé du passé. De son passé, de ses craintes liées à celui-ci. Et tout ce qu'il avait su faire, c'était d'écraser la confiance aveugle que Marvin lui avait accordée. Aux côtés d'Henry, ou quelque ne soit son prénom, il avait eu l'impression que toutes ces années à ne pas faire confiance aux autres étaient gâchées. Et désormais, ce qu'il sentait être gâché, c'était sa promesse de vivre sans croire plus à la nature humaine. Il peinait à faire confiance à Vanessa et à leur père. Alors pourquoi est-ce que ça avait été si facile de lui ouvrir la voie pour le duper ?

Marvin plongea son regard dans celui de l'homme qu'il considérait comme son petit ami. «Je ne comprends pas.» En vérité, il comprenait. Il ne comprenait que trop bien qu'il avait été totalement naïf et idiot de donner sa confiance au premier qui le ferait se sentir vivant. Et pourtant, malgré la déception, et la trahison qui venaient noircir son coeur, il ne recula pas devant la tentative d'approche de l'homme. Surement un effet de l'euphorie de la première soirée ensemble, qui était dans son esprit, mais aussi de son verre. En fait, c'était presque comme si Marvin ne réalisait pas ce qu'il se passait. Il avait plus envie de rire, enfin, la partie de son cerveau qui gérait ses réactions retenait un éclat de rire, alors que son coeur hurlait, pour sortir de sa poitrine et aller mourir quelques mètres plus loin.

Quand James recula, il en fit de même. Quelques pas, alors que son cerveau semblait sur le point d'éclater. Et, finalement, le vainqueur fut l'éclat de rire. Il sortit, et Marvin eut même un sourire. Pas amer ni plein de rancoeur. Juste un sourire mélangé à son rire. «Dommage qu'on n'ait pas rencontré ton frère plus tôt.» Il haussa les épaules comme un point d'interrogation qui se présentait de chaque côté de sa tête. «Pourquoi tu ne m'as pas donné ton vrai prénom ? C'était un jeu, pour toi?» Il n'y avait pas d'accusation dans sa voix, son cerveau bien trop endormi pour en arriver à ce point. Que des questions qui se bousculaient. Et aucune réponse qui ne lui semblait être claire ou possible, sauf peut-être, découvrir que James était un alien. Oui, c'était sûrement ça ! Il agissait sous couverture, c'était certain. Et ça expliquait l'attirance et le lien si fort qui l'unissait avec un être humain, ce qui en plus de trente ans, avait été quasiment impossible, notamment ces quinze à vingt dernières années.
 

( Pando )

James non plus ne comprend pas. Il ne comprend rien à ce qui se passe, et en même temps il sait très exactement ce qui est en train d’arriver. C’est la fin. La fin de quelque chose qui commence à peine et qui a changé toute la vie de James en profondeur. Il ne peut pas laisser ça se produire, ne peut pas rester les bras ballants alors que sa vie entière lui échappe. C’est sûrement ridicule, pathétique et bien loin de la vérité, mais pour lui qui n’a jamais aimé avant, c’est pourtant bien le cas : Marvin est toute sa vie. Quelques mots lui échappent, lamentablement, pour essayer de retenir l’homme. Il a tellement de mal à se concentrer, à faire le tri dans ses idées, qu’il ne parvient pas à s’expliquer tout de suite. Et quand l’homme s’éloigne de quelques pas, impose une distance entre eux, James pourrait jurer qu’il sent son coeur se briser dans sa poitrine. Innocent des choses de l’amour, il ne reconnaît pas la douleur pourtant familière de l’angoisse. C’est pourtant bien de ça dont il est question : une crise d’angoisse, la panique sourde qui s’empare de son corps et déchire son coeur.

“Ce n’était pas un jeu ! Ce n’est pas un jeu !” assure-t-il alors qu’il avance d’un pas, ses bras vaguement tendus vers Marvin sans oser le toucher pour autant. Rien ne sert de le retenir en s’accrochant à lui, ce qu’il faut, c’est le retenir en lui disant la vérité. Mais comment ? Derrière ce mensonge se cache un secret pire encore et ce soir, alors que tout va trop vite, James n’est plus tellement convaincu d’avoir bien fait de le cacher. Il ne sait même pas par où commencer pour donner le début d’une explication cohérente. L’idée que Marvin puisse le laisser là, puisse mettre fin à leur relation à cause de ce mensonge stupide, le paralyse complètement. Ce n’est pas forcément vrai, mais pour James, ça n’en reste pas moins la priorité pour le moment : convaincre Marvin de rester, de lui laisser une chance, peu importe ce qu’il s’apprête à lui dire. “Je t’aime.” C’est la panique qui parle et ce n’est certainement pas la façon dont James voulait dire ces mots pour la première fois de sa vie à quelqu’un qui ne soit pas un membre de sa famille. Mais c’est ce qu’il ressent, la vérité pure et simple. La seule raison qui puisse convaincre Marvin de lui pardonner. Et les mots sont là, maintenant, il ne peut plus les reprendre, même s’il le voulait.

“Je t’aime,” répète-t-il, malgré le sentiment de plus en plus persistant que ça ne fait qu’empirer son cas, “et j’avais peur que tu ne veuilles plus jamais me voir si je te disais toute la vérité, mais je vais le faire maintenant. D’accord ? Je vais tout te dire.” Il ne se précipite pas, pourtant. Il va tout lui dire, oui, mais espère peut-être un encouragement. Pas que Marvin lui retourne ses mots, il n’est pas naïf à ce point. Mais un signe qu’il peut parler ? Que tout n’est pas perdu malgré la trahison dont il vient de se rendre coupable ? Peut-être.

 

( Pando )

Au fond de lui, quelque chose lui criait de fuir, et de ne pas se retourner. Pourtant, c'était son cerveau qui maîtrisait chacune de ses actions. Et de ses inactions, aussi. C'était son cerveau qui le faisait rester ici, qui contrôlait une respiration lente, presque suspendue dans l'air du temps. C'était son cerveau qui lui donnait l'impression qu'il allait éclater de rire devant la tête de James, puisque c'était son prénom, désormais Mais quelque part, c'était aussi son cerveau qui lui faisait comprendre la si vaste supercherie à laquelle il avait eu le droit. Et c'était son coeur qui ne savait pas s'il devait battre plus fort ou s'arrêter.

Marvin ne contrôlait plus rien. Pas même le rire, nerveux, qui s'échappait de ses lèvres, alors que James lui assurait qu'il ne s'agissait pas d'un jeu. Il était totalement déconnecté de la réalité telle qu'il la connaissait.   «Pourtant, c'est drôle.» Même pour lui, c'était déstabilisant de passer d'un état à un autre. Il commençait à se demander ce qu'il y avait exactement dans son verre pour qu'il réagisse de la sorte. Ou alors était-ce lui qui avait pris quelque chose sans s'en rendre compte ? Est-ce que ça comptait, pour les points de citoyenneté si c'était à son insu, une trop forte dose d'alcool ou.. Oh ! Ou de la drogue ? Dans l'imperceptible flou de son cerveau, il avait l'impression qu'une lumière s'était allumée, empêchant les idées brumeuses de s'accumuler. Et pourtant.. Il n'en était pas plus dans son état normal.

Le professeur plissa les yeux en regardant son.. son amant ou peut-être son ancien amant, bien que pour lui, ça ne soit encore trop frais pour pouvoir déterminer ce qu'il en était, et il était évident que son état était.. très loin de lui permettre de définir les choses. «Est-ce que.. Est-ce que c'est toi qui m'a drogué ? Pour que j'accepte mieux tout ça ?» ça n'était pas une accusation, une question bénigne, étant donné que c'était James qui lui avait donné son verre, et que d'un coté, ça aurait été un stratagème énorme pour le faire accepter la réalité. En vérité, dans son cerveau, il s'agissait d'une explosion de saveur. Si James avait fait ça, il trouvait ça remarquable !

C'était sans compter.. Les trois mots du malheur, qui arrachèrent un fou rire long, gênant, et déroutant de la part de Marvin. Ces mots, il les avait bannis de son vocabulaire, même pour sa petite soeur, la seule raison pour laquelle il se battait, si on ajoutait avec l'espoir de pouvoir faire revenir sa mère à DC. Mais ça, c'était encore une autre histoire. Même drogué, Marvin prit garde à ne pas dire des mots en vain. Pourtant, s'il avait eu le courage de creuser au fond de lui, il aurait été en mesure de réaliser que la réciproque était véridique. Mais s'il avait été dans son état normal, aurait-il eu le cœur suffisamment vaillant pour en être capable, alors qu'il venait d'apprendre une telle trahison ?

Marvin leva les avant bras à hauteur de ses coudes, en mettant ses paumes vers James. Il avait l'air totalement halluciné, et alors qu'il sautillait sur place, il s'arrêta devant James, cherchant son regard en ne bougeant que sa tête, le faisant ressembler à... Et bien, à une autruche. «Allez, dis-moi touuuuuut.» s'égosilla-t-il en faisant un tour sur lui même. Désormais, il n'était maître d'absolument rien..

( Pando )

Un éclat de rire. C’est probablement la réaction la plus inappropriée à ce que James vient de dire. Il ne s’en rend pas compte, heureusement. Un rire, c’est une réaction positive, non ? Dans son esprit complètement embrumé par la drogue, en tout cas, il voit ça comme un bon signe. D’autant plus que ça fonctionne : Marvin est toujours là. Il approche même un peu, entre autres choses. Marvin agit comme un tel crétin que la panique de James est relégué au statut de simple souvenir. Il se met même à rire, lui aussi, pas pour la même raison mais qu’importe. Il ne s’attendait certainement pas à ce que cette conversation se déroule de cette façon, mais ce n’est peut-être pas plus mal. Il a beaucoup moins de mal à se confier enfin, en tout cas. “Je suis marié.” dit-il, riant toujours. Ça n’a rien de drôle, mais il ne peut pas garder son sérieux devant le comportement de l’homme. Il se sent un peu plus léger, maintenant que c’est dit. Ça n’explique toujours pas vraiment pourquoi il a menti, mais c’est une chose en moins dont il devra se soucier à l’avenir. “Ma femme sait que je suis gay et puis, elle a disparu de toute façon !”

Ce n’est probablement que la drogue qui lui fait voir tout ça sous un nouveau jour, mais tout à coup, il se dit que c’est peut-être vraiment drôle, finalement. “Juste quand on commençait à parler de notre divorce, elle m’a quitté !” Son rire frôle dangereusement l’hystérie, désormais. “J’avais peur de perdre des points si quelqu’un apprenait que je la trompais. Ou que mes parents me déshéritent s’ils savaient quel monstre je suis réellement. C’est ce qu’ils ont fait avec mon petit frère, la première fois qu’il a ramené l’un de ses copains à la maison…” Tout ça pour quelques points... Il en a perdu pas mal, cette année et ça lui est complètement égal. Il les échangerait tous pour une chance de ne pas perdre Marvin. Ils ont cessé d’avoir la moindre importance dès leur première rencontre, ou presque. “Je voulais te dire la vérité après le premier soir… Mais ensuite, mon beau-frère est mort et avant qu’on puisse se revoir, on a été matché sur Perfect Love et…” Il n’a pas de bonne excuse pour les semaines suivantes, les mois entiers aussi peu soient-ils, qu’ils viennent de passer ensemble.

Une explication, il en a une, mais elle ne lui paraît plus très bonne maintenant. “J’ai été complètement idiot, d’accord ? Mais t’imagine pas la pression que c’est de tomber amoureux d’un mec comme toi !” Même après tout ce temps, il s’étonne encore que Marvin ne se soit pas lassé. Il n’a rien à offrir et il sait mieux que personne que le professeur n’a aucun scrupules à se sauver dès qu’il s’ennuie. C’est comme ça qu’ils se sont rencontrés, non ? “T’es tellement parfait ! Tu pourrais avoir n’importe qui, alors je me voyais mal te dire à quel point je suis pathétique ! C’est déjà suffisamment bizarre comme ça que tu t’en sois pas encore rendu compte tout seul…” Il y a au moins un avantage à ce que James ait de la drogue dans le sang : il parle sans réfléchir et cette fois, on ne peut pas lui reprocher de cacher quoi que ce soit. “Ne me quitte pas, d’accord ?” Il n’a plus grand chose à perdre, alors autant aller droit au but.

 

( Pando )

Cet éclat de rire, c'était tout ce qu'il avait été capable d'émettre, à mi-chemin entre l'incompréhension normale et celle liée à ce qu'il y avait eu dans le verre, qui le rendait totalement perdu suite à ça. Il regardait James, ou Henry, ou quelque soit son vrai nom, à partir de l'instant où il aurait donné sa véritable identité, cette fois, et il ne se permit qu'un haussement d'épaules. C'était le seul moyen qu'il avait d'assimiler les informations. Et pourtant, une part de lui grandissante était amusée par la situation. La preuve qu'il n'était pas dans son état normal. «Pas mal ! Tu m'as eu, en fait.» fit-il avec un rapide éclat de rire, mélange cruel d'amertume et de véritable amusement.

Marvin notait que sa femme avait disparu. D'accord, était-ce une façon de lui faire comprendre qu'il l'avait tuée ? En tout cas, cette information lui donna du mal à déglutir. Autant ne pas s'arrêter sur ça, et de continuer. Après tout, la soirée était plutôt sympa, malgré les quelques informations en vrac données par James, qui venaient détracter tout ce qu'il connaissait. Les yeux dans le vide, il les ramena vers son interlocuteur. Il secoua la tête négativement, et soupira. «Pourtant, je suis loin d'être parfait. Mais j'osais espérer qu'on pouvait tout se dire, et qu'entre nous, c'était suffisamment important pour que le mensonge ne vienne pas s'immiscer entre nous.» Quelques paroles lucides alors que le reste de son esprit venait se noyer dans un flot divers, épars, flou qui distordait sa façon de voir le monde, et d'envisager les évènements qui se présenter à lui.

Plissant les yeux, la confiance qu'il avait en celui qu'il aurait caractérisé quelques heures auparavant comme son petit copain s'envolant au fur et à mesure. Il comprenait au moins une chose. «Et... Tu as mis quelque chose dans mon verre ? Pour.. Pour faire passer la pilule ?» Au plus profond de lui, il espérait que la réponse soit positive, cela expliquerait l'état dans lequel il était. Et puis, c'était.. Un jeu dans son esprit qui était détourné par ce qu'il y avait dans le verre. Bien que d'être autre côté, c'était blessant de s'imaginer qu'il le fallait être drogué ou soul, ou endormi ou quoi que ce ne soit pour qu'il puisse assimiler la vérité. Au moins, il ne s'inquiéterait pas du fait que ce soit quelqu'un d'autre qui l'avait mis à leur insu. Et donc, qu'il y avait un problème certain à évaluer. Il faisait quoi ici déjà ?

Il ferma les yeux à poing à plusieurs reprises. Tout à coup, il avait oublié tout ce qui expliquait sa présence ici. Il regarda James en haussant un sourcil. «Tu... Tu veux danser malgré tout ?» plus rien n'avait de sens, et tout était confus. Surement l'effet de ce qu'il y avait dans son verre qui prenait le contrôle entier de son être.

( Pando )

Ce n’est définitivement pas à James d’exiger quoi que ce soit pour l’instant. Son seul rôle est de dire la vérité et de laisser Marvin en faire ce qu’il veut. Ça n’en reste pas moins frustrant, très frustrant. Le jeune homme parle, parle, donne tout ce qu’il a et il n’a aucune idée de ce qui se passe en face. Désormais, il n’a plus rien à cacher, quel intérêt aurait-il à retenir encore des bribes de vérités maintenant ? Il semble bien malgré tout que Marvin n’arrive plus à lui faire confiance sur quoi que ce soit. Par réflexe, James approche d’un autre pas hésitant, dans l’intention de retenir l’homme qui ne fait que lui échapper métaphoriquement et une fois encore, il s’arrête avant d’initier le moindre contact. “Bien sûr que c’est important !” s’exclame-t-il seulement, “Rien n'est plus important que nous. Je n’ai menti que sur un détail, tout le reste c’était vraiment moi.” Car c’est bien le cas, n’est-ce pas ? Son prénom n’est qu’un foutu détail à côté de tout ce qu’il a dit à Marvin et que personne d’autre au monde n’a jamais su de lui. Chaque regard, chaque baiser, chaque sourire, chaque mot… Tout était sincère, qu’importe qu’on l’appelle James ou Henry, ou autre chose. Ils ont partagé un peu plus que leurs noms, n’est-ce pas ?

Alors bien sûr que, d’une certaine manière, James est furieux. Ça le rend dingue que l’homme face à lui, l’homme qui le connaît le mieux sur la surface de cette Terre, se mette à douter de tout et de rien. “Quoi ?” Pourquoi, vraiment, aurait-il mis quelque chose dans le verre de Marvin ? Il ne se souvient même pas avoir touché à ce verre, d’ailleurs. Au fond, James commence à se demander si tout ça n’est pas qu’une vaste blague, car rien de ce qui se passe n’a de sens. “Je n’ai rien mis dans ton verre ! Je t’ai menti sur mon prénom, je ne suis pas un sociopathe, Marvin !” Il est fou de rage, aussi il s’explique assez mal pourquoi il se met à rire tout à coup. Hormis le fait, bien sûr, qu’il commence à croire qu’il est en plein dans un cauchemar, mais rien de plus sérieux que ça. La preuve : Marvin l’invite à danser, certes pas très chaleureusement, mais… Après cette conversation surréaliste, impossible que l’homme lui pardonne aussi simplement que ça, donc s’ils vont danser maintenant, c’est bien la preuve que rien n’est vrai. En fait, cette idée lui plaît bien et alors qu’il hoche la tête et traverse les quelques pas qui le séparent encore de Marvin, il se surprend à prier pour que ce ne soit rien de plus. Un drôle de rêve dont il s'extirpera sans mal au réveil. Il prend la main de l’homme dans la sienne et retourne se mêler à la foule sans même prendre la peine de remettre son masque. Il ne risque rien à ce qu’on le reconnaisse si tout ça n’existe pas.

Le corps de Marvin, alors que James passe ses bras autour de sa taille pour danser, lui semble bien réel, lui. Fermant les yeux, il pose son visage contre l’épaule du professeur et se prend à imaginer que dans le monde réel, ils sont probablement couchés dans le lit de l’homme et rien de tout ça n’a jamais eu lieu. Ça l’apaise un instant avant qu’il ne réalise que ça veut surtout dire qu’il devra tout recommencer et qu’il ne se redresse brusquement. Son air inquiet disparaît presque aussitôt qu’il croise le regard de l’homme, remplacé par un sourire. Les raisons de cette inquiétude ne s’attardent pas beaucoup plus longtemps, elles non plus, chassées par un baiser que James décide de voler sans le moindre scrupule. Quand sa tête retrouve sa place contre l’épaule de Marvin, il n’y a plus grand chose dedans. Il sait que tout n’est pas parfait, mais ce n’est qu’un genre de murmure flou qui se fond avec la musique dans l’arrière-plan. Si c’était tellement important, il ne pourrait pas penser à autre chose, pas vrai ? Tout ce qui l’obsède en ce moment, c’est Marvin, son corps sous ses doigts, sa mâchoire qu’il embrasse doucement, son odeur qui l’enivre cent fois plus que le champagne. “Est-ce qu’on peut rentrer à la maison après ça ?” demande-t-il à l’oreille de l’homme. Il ne sait même pas trop ce qu’il entend par “ça”, cette danse ou les autres, celles que Marvin voudra, ça lui est bien égal. La patience n’est pas un problème, mais il entend comme une petite voix qui lui souffle qu’il ne lui reste plus beaucoup de temps pour aimer cet homme, plus beaucoup de temps avant qu’il ne doive se réveiller. Il faut qu’ils quittent ce bal avant que minuit sonne, Dieu sait ce qui se passera s’ils ne le font pas.

( Pando )

Dans le fond, Marvin ne sait plus trop quoi penser. Il est la, devant celui qui est son "ami", comme l'aurait poliment appelé sa mère en souriant, depuis des mois. Il avait l'impression de le connaître et que le monde pouvait bien s'effondrer, a deux ils deviendraient plus fort, et pourtant, quand son monde venait s'effondrer, il avait peine a attraper la main de James pour ne pas se laisser ensevelir. Il ne s'agissait que d'un prénom, et il comprenait assez bien ou voulait en venir son interlocuteur. Mais c'était aussi une partie de son identité qu'il avait essayé de cacher. Et finalement, il n'était plus certain de croire en autre chose qu'aurait dit cet homme. Pourtant, il est loin de n'être "qu'un homme". Il est celui qui le fait vibrer, qui l'a rendu plus humain... Plus fragile aussi. Plus vulnérable et atteignable, lui qui s'était forgé des barrières, des murs et des protections en titane dans sa vie.

Marvin haussa les épaules. Son esprit biscornu, endommagé par la drogue lui faisait se poser des questions. Beaucoup de questions, d'ailleurs. Il n'était pas très à l'aise avec ce qu'il se passait autour de lui et a l'intérieur son cerveau. Certaines connexion synaptiques ne se faisaient plus, ou mal, et lui laissaient une compréhension que partielle de l'univers. «je te crois» pourtant quelque part, quelque chose lui hurlait de se protéger. Qu'il risquait d'en prendre plein la bouche. Et malgré ça, il restait, a demander son reste en l'invitant a danser.

Mais passer du temps avec James, c'était devenu vital, presque. Il en aurait presque oublié ses idées de révolution pour pouvoir retrouver sa mère. Presque. Il hocha la tête en resserrant son emprise sur James, ou Henry ou qui qu'il ne soit. Comme si c'était la dernière fois, alors que les clés étaient dans ses mains. « Oui, je veux bien» cette danse allait nécessiter quelques temps de repos vu dans l'état dans lequel il se trouvait. Et eux auraient sûrement besoin d'une bonne discussion, histoire de dégrossir ce que Marvin venait d'apprendre.

( Pando )

Une chanson, peut-être deux, trois. James n’en a aucune idée, entend à peine la musique, ne suit absolument pas son rythme, mais se laisse plutôt porter par celui de Marvin tout le temps que dure leur danse. Il ne sait même pas qui des deux initie le mouvement pour mettre fin à ce moment, qui mène la danse quand ils quittent la foule, puis le jardin, pour prendre le chemin de la sortie. Il sait juste que sa main est accrochée à celle de Marvin, qu’il se sent à la fois heureux et dévasté et que tournent en boucle dans son crâne des suppliques de plus en plus véhémentes pour que cette nuit ne s’arrête jamais. Le tram arrive presque immédiatement après qu’ils aient atteint l’arrêt, ajoutant encore un peu plus d’irréel à cette scène tout entière. Le voyage jusqu’à l’appartement du professeur se fait dans le silence le plus complet, James trop occupé à observer tout ce qui se trouve autour de lui avec un oeil nouveau, plus vif, plus optimiste. Un rien ressemble à un miracle qui l’enchante jusqu’à ce que son regard se pose sur le suivant.

Et puis, ils arrivent à destination. Dans l’appartement, le silence se fait assourdissant, sans doute parce qu’il n’est plus accompagné du fond sonore de la ville. Sans doute aussi parce que la drogue dans leur sang commence à s’estomper lentement, mais de ça, James n’en est pas encore tout à fait conscient. Sa vue se fait seulement un peu plus nette, l’euphorie moins entêtante. Il retire sa veste, sa cravate et ses chaussures à peine entré dans l’appartement, soulagé de pouvoir se débarrasser de tous ces vêtements inconfortables. Puis, il s’approche de Marvin, non sans sentir une nouvelle angoisse se creuser un nid dans son ventre, et l’observe presque fixement quelques secondes, passe une main dans ses cheveux, caresse son visage comme s’il osait toucher du cristal. “Je te demande pardon.” souffle-t-il, pour la première fois ce soir, mais il ne s’en rend même pas compte. Il a raconté toute l’histoire, avoué ses sentiments et même supplié Marvin de ne pas le quitter, mais il n’a pas encore pensé à s’excuser avant maintenant… Pourtant, il regrette bien d’avoir menti et il avait commencé à regretter longtemps avant que Jessie ne vienne exposer son mensonge.

“Je n’ai jamais voulu te faire de mal, je te le jure. Je suis seulement un crétin, je n’ai pas d’autre excuse.” Il donnerait n’importe quoi pour qu’ils puissent ne pas parler de ça maintenant, qu’ils puissent seulement profiter d’un dernier moment de bonheur avant de devoir assumer les conséquences de ses actes, mais les mots sortent tous seuls et c’est peut-être mieux comme ça. Au moins, pendant qu’il parle, il ne laisse pas une occasion à Marvin de se mettre en colère, de le jeter dehors ou, pire, de rompre. “Et je te promets que tout ce qu’on a partagé, c’était sincère et ça a compté plus que tout au monde pour moi. Tu es le seul à savoir qui je suis vraiment, tu es la seule personne que j’ai aimé de toute ma vie. Je suis un idiot, mais je t’aime. Je t’aime tellement que ça me terrifie. Alors je te demande pardon et je te promets que je ferais tout ce qu’il faut pour que tu me pardonnes, même si je dois y passer le reste de ma vie.” Il doit bien rester encore assez de drogue dans son système pour qu’il se permette de parler de cette façon, car il n’avait clairement pas prévu de faire de grandes déclarations ce soir. Malheureusement, il ne sait vraiment pas quoi ajouter pour accaparer encore un peu de la parole, il n’a donc plus d’autre choix que de laisser Marvin décider de ce qui se passe maintenant.

( Pando )

Ce moment avec James, ou Henry, ou peu importait qui il était venait réchauffer le coeur de Marvin. Il avait l'impression que dans cette petite bulle dans laquelle ils étaient, rien ne pouvait arriver, rie ne pouvait les atteindre. Mais toute bulle finit toujours par exploser, et au fond de son esprit biscornu, Marvin le savait très bien. Et il s'accrochait de toutes ses forces à l'idée que, cette fois-ci, elle resterait solide, et n'éclaterait pas en plein vol, rendant la chute plus douloureuse.
A sa demande d'être pardonné, il ne répondit pas, trop occupé à essayer de démêler toute cette conversation qu'ils venaient d'avoir. Et s'il commençait à sentir que les choses étaient hors de son contrôle, quelque part, une partie de lui avait très bien compris qu'il lui avait menti. Mais dans l'état dans lequel il était, c'était à se demander s'il s'en souviendrait jamais vraiment. Tout ce qu'il fut capable de faire, c'était de resserrer leur étreinte alors qu'ils continuaient à danser. C'était une moindre peine, mais son esprit lui disait que James ne mentait pas. La drogue le rendait moins réceptif aux informations, décidant de ce qui était ou n'était pas. Peut-être que sa perception changerait au petit matin, ou peu importait le moment où il retrouverait ses esprits, mais ce moment là, presque bénit des dieux -auxquels il ne croyait pas-, il ne pouvait pas le gâcher.


Et finalement, comme dans tous les contes de fées, minuit sonnait, et ils partirent à la recherche du tram, qui arriva au même moment que James et Marvin. En peu de temps, ils arrivaient chez Marvin, qui commençait à avoir les idées plus claires, bien que toutes les parties de la soirée ne lui étaient pas revenues en tête. Il jeta un sourire un peu plus étiré qu'il n'aurait dû à James, trahissant ses fausses notes, et il hocha la tête.  « Je comprends.» dit-il seulement. Oui, et non. Mais ils avaient besoin d'une bonne nuit de sommeil. Tous les deux. Et la nuit portait conseil, n'est-ce pas ? Il soupira, et enleva ses chaussures et sa veste.

« Tu peux rester dormir, si tu veux. Je pense qu'on a besoin de sommeil.» Et sûrement de temps, mais ça, son esprit était loin d'être suffisamment clair pour le déterminer...

( Pando )

Il comprend. Quant à James, il en est bien loin à vrai dire. Après tout ce qu’il vient de dire, c’est la seule chose que Marvin trouve à répondre ? Le rire lui semblait presque une réponse plus appropriée. Au moins, elle avait du sens, il pouvait lui trouver une excuse : la surprise, principalement. Ne rien dire à la deuxième fois… Petit à petit, James commence à réaliser que peut-être, c’est un silence criant d’aveux. Il essaye de rester tranquille, impassible, bien conscient que sa colère n’a pas le droit de s’exprimer pour ce soir, mais… Eh bien, c’est la suite logique, n’est-ce pas ? La première peine de coeur vient forcément avec le premier amour. Il essaye encore un peu de se convaincre que Marvin est sous le choc, que la situation est particulière, compliquée. Qu’il ne doit pas prendre personnellement cette absence totale de réaction. Et pourtant, même lui qu’on accuse si souvent d’être un robot, il n’arrive pas à rester indifférent là. C’est impossible, pas quand il s’agit de Marvin, d’eux. Seulement, qu’est-ce qu’il peut faire de plus ?

Il force un sourire sur ses lèvres, lorsque l’homme lui propose de rester dormir, mettant une fin définitive à la conversation. Il est hors de question que James reste là toute la nuit, il sait déjà qu’il n’arrivera pas à dormir, qu’il passera tout ce temps allongé à regarder dans le vide en se demandant pourquoi Marvin ne l’aime pas. Il préfère faire ça chez lui, au moins il se sentira plus à l’aise dans son propre lit. “Merci, mais je vais rentrer.” lâche-t-il en récupérant ses affaires lentement. Il sent son coeur qui bat trop fort, la chaleur qui lui monte aux joues et il connaît déjà la suite logique, ce qui va arriver dans quelques secondes. Ça aussi, c’est hors de question. Il s’est assez humilié pour ce soir, pas question qu’il se mette à pleurer devant le professeur. “On se parle plus tard, d’accord ?” Cette fois, il ne parle que pour parler, effrayé par le silence qui règne entre eux et qui ne lui dit plus rien qui vaille. Il recule déjà vers la porte, sans même prendre la peine de remettre sa veste ou ses chaussures, qu’il serre contre sa poitrine d’un bras alors que sa main libre cherche la poignée de la porte.

“Bonne nuit, Marvin.” Il n’arrive toujours pas à croire qu’une soirée qui commençait si bien ait pu prendre une telle tournure. Il croit encore moins au fait qu’il vient de dire à quelqu’un qu’il l’aimait pour la première fois de toute sa vie et que ça se passe comme ça. Est-ce que c’est ça, la punition divine qu’il craint depuis des mois ? Au moins, il a appris sa leçon et se fait même la promesse de ne jamais recommencer quand il parvient enfin à quitter l’appartement de l’homme. Oh non, on ne le reprendra pas à parler de ses sentiments. Il préfère être considéré comme un robot plutôt que de vivre une chose pareille une seule autre fois de toute sa vie.

( Pando )